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Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/136

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la vie aux galères

vement sa Cour avait fait faute en cela et le pria d’user de prudence dans cette occasion et de lui communiquer son avis sur ce qu’il y aurait à faire pour prévenir tout accident, ajoutant qu’il savait que le roi son maître ne donnerait jamais son consentement pour la délivrance de ces réformés. Milord Hill lui dit qu’il savait un moyen pour prévenir tout fâcheux événement : « Écrivez, lui dit-il, au ministre de votre Cour qu’il vous ordonne de les faire sortir secrètement de Dunkerque par mer. J’y donnerai les mains et la chose sera facile et sans danger. » M. de Langeron ne manqua pas de suivre ce conseil et bientôt il reçut ordre d’agir de concert avec milord Hill[1].

Le 1er octobre, fête de saint Rémy, nous vîmes une barque de pêcheur enchaînée à notre galère. On fit courir le bruit que cette barque était confisquée pour avoir fait la contrebande, et les Anglais, comme les autres, prirent cela comme argent comptant. Le soir, on battit la retraite comme à l’ordinaire et chacun fut se coucher. J’étais dans mon paillot, dormant tranquillement, lorsque je fus éveillé tout à coup par notre major, armé d’un pistolet et accompagné de deux soldats de galère qui me mirent la baïonnette à la gorge en me menaçant que, si je faisais le moindre cri, c’était fait de moi. Le major, qui était de mes amis, m’exhorta aimablement à ne faire aucune résistance, sinon qu’il exécuterait les ordres qu’il avait de me tuer. « Hélas ! lui dis-je, M. le major, qu’ai-je fait, et que va-t-on faire de moi ? — Tu n’as rien fait, me dit-il, et on ne te fera aucun mal, pourvu que tu sois docile. » Il me fit ensuite

  1. Voici le texte de la dépêche ministérielle du 14 septembre. Il rectifie sur certains points les assertions de Marteilhe. « Voulant éviter toute explication au sujet des forçats condamnés pour fait de religion qui sont sur les galères de Dunkerque, Sa Majesté m’a commandé de vous écrire qu’il convient de les faire transférer par mer au Havre avec un argousin et des pertuisaniers en nombre suffisant pour les garder. Pour exécuter ses intentions avec ordre et sans inconvénient, j’estime qu’il est de bienséance que vous en communiquiez à M. Hill. Il fera d’autant moins de difficulté qu’il doit avoir été prévenu par M. Prior. Vous concerterez ensuite avec M. du Guay (l’intendant de la marine à Dunkerque) les moyens de faire cet embarquement sans éclat. » (Archives de la Marine, B6 45.)