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Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/154

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la vie aux galères

nous partîmes avec la chaîne le 17 décembre. À neuf heures du matin, on nous fit tous sortir du cachot et entrer dans une spacieuse cour devant le château. On nous enchaîna par le cou, deux à deux, avec une grosse chaîne de la longueur de trois pieds, au milieu de laquelle il y avait un anneau rond. Après nous avoir ainsi enchaînés, on nous fit mettre tous à la file, couple devant couple et alors on passa une longue et grosse chaîne dans tous ces anneaux, si bien que nous nous trouvâmes tous enchaînés ensemble. Notre chaîne faisait une très longue file, car nous étions environ quatre cents. Ensuite on nous fit tous asseoir par terre, en attendant que le procureur général du Parlement[1] vînt pour nous expédier entre les mains du capitaine de chaîne. C’était pour lors un nommé Langlade, exempt du guet[2]. Sur le midi, le procureur général et trois conseillers du Parlement vinrent à la Tournelle, nous appelèrent tous par nos noms, nous lurent à chacun le précis de notre arrêt de condamnation et les remirent tous en mains du capitaine de la chaîne. Cette formalité nous arrêta trois bonnes heures dans la cour, pendant lesquelles M. Girardot, qui ne s’endormait pas à notre égard, fit supplier M. d’Argenson de nous recommander au capitaine de la chaîne, ce qu’il fit fortement, ordonnant audit capitaine de nous distinguer des autres, de nous procurer tous les soulagements qui dépendraient de lui, et de lui rapporter, après son retour de Marseille, un certificat par lequel nous attesterions que nous étions contents de lui. Il lui ordonna de plus de régler avec M. Girardot ce qui concernait notre soulagement durant la route. Pour cet effet, M. Girardot vint dans la cour de la Tournelle, alla saluer le procureur général et le pria d’avoir la bonté qu’il entretînt et assistât les 22 réformés qui étaient à la chaîne, ce que le procureur général lui accorda avec beaucoup de douceur. Il vint nous embrasser tous, avec une affection digne des senti-

  1. Henri-François Daguesseau (1668-1751). Il était procureur général depuis le 19 novembre 1700.
  2. Il fut nommé le 20 novembre.