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la vie aux galères

drait 36. Il fallut aller encore chez l’intendant, qui pour le coup pensa de bon à nous délivrer incessamment, mais pour ôter aux missionnaires tout prétexte de retardement, il envoya son secrétaire pour visiter ces trois tartanes et s’assurer si elles pourraient nous contenir dans leur fond de cale. Nous graissâmes la patte à ce visiteur pour qu’il fît un rapport favorable, ce qu’il fit en effet ; et il fut conclu par l’intendant que les 36, que le patron Jovas devait prendre dans sa tartane, seraient délivrés à deux jours de là, qui était le 17 juin 1713 et que les deux autres barques seraient expédiées à trois jours d’intervalle, chacune avec 50 hommes qui lui seraient destinés. Cela arrêté et les missionnaires étant à bout de leurs stratagèmes, ils ne s’opposèrent plus à notre départ qu’en faisant encore une tentative pour tâcher d’intimider les patrons des barques. Ce fut de leur faire ordonner de signer une soumission portant qu’ils s’obligeaient solidairement de ne pas nous débarquer à Villefranche, mais à Oneille, Livourne ou Gênes, sous peine de 400 livres d’amende, confiscation de leurs barques et peine arbitraire de leurs corps aux contrevenants, ce que les patrons signèrent de bonne grâce. Pour lors, les missionnaires abandonnèrent entièrement leurs poursuites ; et le père Garcin, leur supérieur, en eut tant de dépit qu’il s’absenta de Marseille, pour ne pas avoir la triste et affligeante vue de notre délivrance.

Le 17 juin, jour heureux, on fit venir à l’arsenal les 36 hommes nommés pour la barque du patron Jovas, dont j’étais un. Le commissaire de la marine nous lut les ordres du roi insérés et imprimés dans chacun de nos passeports[1]. On lut de même au patron Jovas la soumission

  1. Au contraire de l’usage, les congés ne portaient pas indication du temps de la détention, « cette différence m’ayant paru convenable, écrit Rozel, parce qu’en voyant des condamnés à temps que leur obstination a fait rester longues années en galère après leur temps fini, les gens du pays où ils vont qui sont presque tous religionnaires ne manqueraient pas de taxer d’injustice le retardement de leur liberté après le temps de leur condamnation, au lieu qu’il n’a été que l’effet de la religion et la piété du Roi. » (Archives de la Marine B6 106.)