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les galères de dunkerque

lui, qui frappe avec une corde un robuste Turc[1] pour l’animer à frapper de toutes ses forces avec une grosse corde sur le dos du pauvre patient. Ce Turc est aussi tout nu et sans chemise et comme il sait qu’il n’y aurait pas de ménagement pour lui, s’il épargnait le moins du monde le pauvre misérable que l’on châtie avec tant de cruauté, il applique ses coups de toutes ses forces de sorte que chaque coup de corde qu’il donne fait une contusion d’un pouce. Rarement ceux qui sont condamnés à souffrir un pareil supplice en peuvent supporter dix à douze coups sans perdre la parole et le mouvement. Cela n’empêche pas que l’on ne continue à frapper sur ce pauvre corps, sans qu’il crie ni qu’il remue, jusqu’au nombre de coups auquel il est condamné par le major. Vingt ou trente coups n’est que pour les peccadilles ; mais j’ai vu qu’on en donnait jusqu’à cinquante ou quatre-vingt et même cent ; ceux-là n’en reviennent guère. Après donc que le pauvre patient a reçu les coups ordonnés, le barbier, ou frater de la galère, vient lui frotter le dos tout déchiré avec du fort vinaigre et du sel, pour faire reprendre la sensibilité à ce pauvre corps et pour empêcher que la gangrène ne s’y mette. Voilà ce que c’est que cette cruelle bastonnade des galères[2]. Je fus environ quinze jours sur la galère où l’on m’avait d’abord mis. À côté de la galère où j’étais, il y en avait une dont le comite était pire qu’un démon d’enfer. Il faisait faire la bourrasque, ou nettoiement de sa galère, tous les

  1. « Il y a cinq sortes de personnes sur les galères, qui y sont en qualité de forçats, écrit Bion, ancien aumônier de la galère La Superbe, savoir : des Turcs, des faux-saulniers, des déserteurs, des criminels et des protestants. Les Turcs sont des esclaves que le roi achète pour aider à manier la rame… Ces Turcs sont, pour l’ordinaire, de grands hommes bien faits et robustes : ils sont les moins malheureux de toute la chiourme… Un Turc aux galères est un esclave à perpétuité à moins que, lorsqu’il est vieux, il ne trouve des patrons qui lui procurent la liberté à prix d’argent. (Bion. Relation des tourments qu’on fait souffrir aux protestants qui sont sur les galères de France, édition de 1881, 26 et 31).
  2. « Je ne vous ai pas dit le nombre de nos bastonnades, écrivait le forçat Maurin le 14 décembre 1700, parce que je ne le sais pas, mais il me semblait que le poids des coups de la dernière était bien de 20 à 25 livres quelques-uns. »