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la vie aux galères

jours, au lieu que les autres ne la faisaient que tous les samedis. Les coups de corde, pendant cette bourrasque, tombent sur les galériens comme la grêle et cet exercice dure deux ou trois heures. Je voyais ce cruel traitement, parce que la distance de l’une à l’autre galère n’était pas grande. Les forçats de mon banc me disaient sans cesse : « Priez Dieu qu’au partage qu’on doit bientôt faire de vous autres nouveaux venus sur les six galères, vous ne tombiez pas sur la galère la Palme ». C’était celle de ce méchant comite. J’en tremblais de peur.

Le partage d’environ soixante nouveaux venus que nous étions, pour les distribuer sur les galères, arriva.

On nous mena tous au parc de l’Arsenal où on nous fit dépouiller absolument tout nus, pour nous visiter dans toutes les parties de nos corps. On nous tâtait partout, ni plus ni moins qu’un bœuf gras qu’on achète au marché. Cette visite achevée, on fit des classes des plus forts aux plus faibles. On fit ensuite six lots, aussi égaux qu’il se put, et les comites tirèrent au sort pour avoir chacun son lot. On m’avait mis à la première classe et j’étais à la tête d’un lot. Le comite à qui j’étais échu nous dit de le suivre pour nous amener à sa galère. Curieux de savoir mon sort et ne sachant pas que cet homme fut un comite, je le priai de me dire sur quelle galère j’étais échu. « Sur la Palme » me dit-il. Je fis une exclamation déplorant mon malheur. « Pourquoi, me dit-il, êtes-vous plus malheureux que les autres ? — C’est, lui dis-je, Monsieur, que je tombe sur un enfer de galère et dont le comite est pire qu’un démon. » Je ne savais pas que je parlais à ce même comite. Il me regarda en fronçant les sourcils. « Si je connaissais, dit-il, ceux qui vous ont dit cela, et que je les eusse en mon pouvoir, je les en ferais repentir ». Je vis bien que j’avais trop parlé, mais le mal était fait et sans remède.

Cependant, ce méchant comite voulut faire voir à mon égard qu’il n’était pas si démon qu’on l’accusait. Il mena son lot à sa galère où étant, il commença à me faire voir un trait de sa bénignité pour moi, car, comme j’étais jeune