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la vie aux galères

Pendant qu’une partie des chiourmes s’occupe ainsi sur le quai dans leurs baraques, le reste, qui fait le plus grand nombre, est à la chaîne dans leurs bancs, à la réserve de quelques-uns qui se font déchaîner pendant le jour, moyennant un sol. Ceux-là peuvent se promener par toute la galère et y faire leur négoce. La plupart de ces déferrés font les vivandiers. Ils vendent du tabac (car l’hiver on peut fumer), de l’eau-de-vie, etc… D’autres ont dans leur banc une petite boutique de beurre, fromage, poivre, vinaigre, du foie de bœuf et des tripes cuites qu’ils vendent à la chiourme pour peu d’argent, car pour cinq ou six deniers, qui font un demi-sol, on s’y pourvoit pour faire son repas avec le pain que le roi donne. À l’exception donc de ceux qui sont déchaînés en payant un sol par jour, tous les autres sont assis dans leur banc, tricotant des bas. On me demandera où ces galériens prennent le coton pour travailler. Le voici : plusieurs Turcs, du moins ceux qui ont de l’argent, font ce négoce, où ils ont un profit visible et clair, principalement à Marseille. Ces marchands livrent à ces Turcs autant de coton qu’ils en veulent et les Turcs leur paient le coton en bas de coton. Ces Turcs livrent tant de livres de coton filé aux forçats pour le brocher et en faire des bas de toute grandeur, leur étant indifférent de brocher de grands ou petits bas, parce que le prix du brochage se fait par livre pesant, si bien que le forçat qui a reçu, par exemple, dix livres de coton filé, rend le même poids de coton broché en bas de la grandeur qu’on lui a ordonnée, et le Turc lui paye pour la façon des bas tant par livre, selon qu’ils en sont convenus, mais c’est ordinairement un prix fixe. Il faut que le forçat prenne bien garde de ne pas friponner le coton qu’on lui a confié, car s’il en manque la moindre chose ou que le forçat ait mis le coton dans un lieu humide pour lui faire reprendre le poids qu’il en a détourné, on lui donne une cruelle bastonnade. Cela arrive fréquemment, car les forçats sont si adonnés à boire qu’un grand nombre parmi eux pour se satisfaire à cet égard s’exposent à ce cruel supplice, dont rien ne peut les garantir. Ils n’ont pas