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Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/96

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la vie aux galères

mirent en mer pour aller chercher ce riche butin. Il faisait un petit vent d’est assez frais. Nous voguâmes toute la nuit, et le matin à la pointe du jour, nous vîmes nos cinq prétendus vaisseaux indiens qui, d’abord qu’ils nous aperçurent, firent mine de forcer de voiles et se mirent tous les cinq à la file les uns des autres, de sorte que nous ne pouvions bien voir que celui qui formait l’arrière-garde et qui était l’amiral. Ces navires étaient si bien masqués, leurs ornements de poupe couverts, les sabords de leurs canons fermés, leurs voiles de hunes amenées ; enfin ils étaient si bien déguisés en navires marchands, qui viennent d’un voyage de long cours, qu’ils nous donnèrent le change, et nous les prîmes effectivement pour cinq navires qui revenaient des Indes. Tous nos officiers, matelots et soldats, ne se sentaient pas de joie dans la ferme espérance de s’enrichir de ce gros butin. Cependant nous avancions toujours et approchions à vue d’œil de cette flotte, qui ne forçait ses voiles, que pour mieux nous faire croire qu’ils avaient peur et pour nous attirer plus en assurance à leur portée dans le dessein de nous bien recevoir, car quoi qu’ils forçassent de voiles, ils trouvaient le moyen de ne pas avancer à l’aide d’un gros câble en double qu’ils laissaient traîner dans la mer au derrière de leurs vaisseaux. Nos six galères voguèrent donc de toute leur force, en front de bataille, et avec une grande confiance que c’étaient des Indiens si pesants et si sales dans leur carène qu’ils ne pouvaient pas avancer. Étant à la portée du canon, nous fîmes une décharge de notre artillerie sur eux. Le vaisseau, qui faisait l’arrière-garde, nous répondit par un coup d’un petit canon de dessus son château de derrière, qui ne portait pas à mi-chemin de nous, ce qui nous encourageait de plus en plus. Nous avancions toujours, faisant un feu horrible de notre artillerie qu’ils souffrirent constamment. Enfin, nous nous trouvâmes si près de leur navire d’arrière-garde que nous commencions déjà à nous préparer pour l’abordage, la hache d’armes et le sabre à la main, lorsque tout à coup leur amiral fit un signal. Incontinent après, leur avant-garde vira de bord sur nous, et les autres de même,