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la vie aux galères

si bien que dans un moment nous fûmes environnés de ces cinq gros navires qui, ayant eu tout le temps de préparer leur artillerie, ouvrirent leurs sabords et firent sur nous un feu épouvantable qui abattit la plupart de nos mâtures et agrès, avec grande tuerie de nos équipages. Pour lors, nous nous aperçûmes que ces prétendus Indiens n’étaient rien moins que de bons et formidables navires de guerre, qui nous avaient donné le change par leur stratagème, pour nous attirer au delà du banc de sable qui règne à deux ou trois lieues de cette côte, et que les gros navires, comme calant trop profond, ne sauraient passer, pendant que les galères, comme ayant moins de calage, y passent facilement. Enfin, nous voyant tout à coup si maltraités, et craignant pis, notre commandant fit le signal du sauve-qui-peut vers le banc que les ennemis ne pouvaient empêcher de gagner. Mais ils nous escortèrent en se rangeant en bataille, avec un feu si terrible sur nous, que nous courûmes le plus grand péril du monde d’être tous coulés à fond. Enfin la proximité du banc de sable nous sauva. Nous regagnâmes Ostende à force de rames, tout délabrés, ayant eu plus de deux cent-cinquante hommes tués dans ce combat et un grand nombre de blessés.

Arrivés à Ostende, le premier soin fut de chercher le pêcheur qui nous avait si bien trompés. Si on l’eût trouvé, on l’aurait pendu dans le moment, mais il n’avait pas été si sot que de nous attendre. Notre commandant ne fut pas fort loué de la Cour et tout le monde fut bientôt instruit de sa crédulité, mais surtout de son imprudence à risquer de faire perdre au roi ses six galères avec trois mille âmes, car les galères ont cinq cents hommes chacune. Je dis son imprudence, car lorsque nous étions en vue des ennemis, et que, tenant conseil de guerre avec les cinq autres capitaines, il fit prévaloir son opinion et conclut que c’étaient des Indiens, l’un des capitaines, nommé M. de Fontête, opina fortement que ce pourrait bien être une tromperie et qu’il croyait qu’il serait bon de s’en assurer, en envoyant notre brigantin pour reconnaître cette flotte. Mais le commandant lui disant que c’était la peur des coups qui le