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les cévennes

sauvant la plupart par la montagne à Sainte-Érémie (Énimie), ayant à leur sortie laissé quelques soldats en garde qui se laissent surprendre. Merle laisse dans lesdites places quelques-uns des siens.

« Quelques jours après, lesdits sieurs ayant fait telle diligence que, bien qu’il ait fallu passer et repasser quatre fois à gué le canon à la rivière de Tarn, le plus souvent, que le canon avait une toise d’eau par-dessus et les bœufs à la nage, ils mirent le canon devant Bedouès, près Florac. »

Merle saccagea Ispagnac et Quézac, sauf le château, qu’il conserva jusqu’au moment où il acquit, aux frais de la province de Gévaudan, les baronnies de Lagorce et de Salavas en Vivarais, puis il attaqua successivement tous les châteaux riverains du Tarn ; mais celui de Prades, victorieusement défendu par un prieur guerrier, l’empêcha d’atteindre Sainte-Énimie. Enfin, incapable de faire remonter à ses canons les pentes de l’Estrade, il les scia à Quézac, quand il rentra à Mende en 1581. Alors il fit la paix pour 6,500 écus, 120 mulets et les deux baronnies sus-nommées[1]. — Merle était boiteux. Le duc de Montpensier écrivait un jour à un officier de la même trempe : « Avec Merle et vous tous j’attaquerais l’enfer, fût-il plein de cent mille diables, »

À quelques centaines de mètres en aval d’Ispagnac, et dans une presqu’île de la rive gauche du Tarn, véritable impasse murée au sud par les abrupts du causse Méjean, se trouve le célèbre lieu de pèlerinage de Notre-Dame de Quézac. Au moyen âge, pour éviter aux fidèles le passage à gué de la rivière, le pape Urbain V, après avoir érigé Quézac en collégiale, décréta, dans la seconde moitié du XIVe siècle, la construction d’un joli pont ogival. Le pont, ruiné au bout de deux cents ans, lors des guerres de religion, fut rétabli sur le même modèle sous le règne de Louis XIII et existe encore (alt. 500 m,).

L’attention portée par un pape au village perdu de Quézac s’explique quand on sait qu’Urbain V (Guillaume de Grimoard) était né en Lozère, à Grizac, près Pont-de-Montvert en 1309 ; il fut élu pape le 27 septembre 1362. C’est ce souverain pontife qui, cédant aux instances de Pétrarque et des Italiens, tenta vainement de fixer de nouveau le saint-siège à Rome, où il séjourna trois ans (1367-1370), pour revenir ensuite mourir à Avignon, le 19 décembre 1370[2].

En 1630, la population de Mende vint en procession solennelle demander à la Madone de Quézac de la délivrer de la peste.

À 500 mètres du pont, le village (647 hab. la comm., 203 agglomérations.) montre, comme Ispagnac, plusieurs maisons du xvie siècle ; l’église, maladroitement agrandie, a perdu tout son caractère ogival, mais reste un lieu vénéré de pèlerinage et conserve un maître-autel digne d’attention[3].

Selon la croyance populaire, la Vierge noire de Quézac ne veut pas quitter son village ; et chaque année, le jour de sa fête (15 septembre), quand on la conduit en procession, elle se fait si lourde, une fois parvenue au pont, que ses quatre ou six robustes porteurs renoncent à avancer et rebroussent chemin vers l’église.

  1. Le Capitaine Mathieu Merle, gentilhomme du Roy de Navarre, par le comte A. de Pontbriant. Paris, Alph. Picard, 1886, in-8o. — Le Capitaine Mathieu Merle, son séjour à Mende et son départ, par F. André, archiviste. Annuaire de 1886, p. 133.
  2. Vie du pape Urbain V, par l’abbé Albanès, Marseille, in-12, 1866. — Vie du pape Urbain V, par l’abbé J. Charbonnel. Paris, A. Bray, in-12, 1871.
  3. Notice sur l’église de Quézac, par M. de Chapelain, (Congrès archéologique de France, en 1857.) — Notice sur Notre-Dame de Quézac, par l’abbé Boisson, curé, 1837,