Page:Martel - Les Cévennes et la région des causses, 1893.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
autour de peyreleau

de la Jonte, ainsi que dans la plaine de Grauffessenque, près Millau, et sur beaucoup de points du causse Noir, on trouve encore souvent des amas de poteries antiques, les unes grossières, fabriquées sans doute sommairement par les soldats-laboureurs romains durant leurs loisirs, les autres d’une grande finesse, du type dit samien, et peut-être issues de quelque succursale des grands ateliers de Banassac. (V. p. 70.) Telle est la délicatesse de ces poteries samiennes, qu’actuellement un artiste de talent, M. Constans, à Millau, vend très cher les jolies imitations qu’il est parvenu à en exécuter avec une perfection rare.

Aux Romains aussi remontent sans doute les soubassements du vieux fort royal qui couronnait le roc et le village ; démantelé en 1600, il n’est plus qu’une grande tour carrée, dont le sommet paraît sortir d’un véritable étui de lierre. Près de la tour, une statue de la Vierge surmonte l’église moderne. Au sud de Peyreleau et au-delà du lit du torrent si souvent dévastateur qui descend du causse Noir et qui interdit au bourg toute extension sérieuse de ce côté, le château de Triadou fut commencé en 1470 par Pierre d’Albignac ; ce seigneur, toujours en guerre avec son voisin le sire de Capluc, enleva la fille de ce dernier, la belle Flour de Capluc, l’épousa après la mort de son père et confondit ainsi les deux maisons vers l’an 1504. D’ailleurs, quoique réunis nominalement dès 1260 au comté de Rodez et d’Armagnac, tous les manoirs du Tarn, de la Jonte, de la Dourbie, narguant leurs suzerains du fond de leurs vallées si bien défendues par la nature sauvage, demeuraient en fait complètement indépendants. Leurs propriétaires s’étaient tous arrogé le droit de haute, moyenne et basse justice ; ils avaient leur cour, composée d’un juge et d’un lieutenant, d’un procureur et d’un greffier. Les bois patibulaires des barons de Castelnau, sires de Triadou, se trouvaient sur le causse Noir, près de l’église de Saint-Jean-de-Balmes. (V. p. 104.) Tout cela fit dire à Clément Marot :


Lévezouls, d’Estaing, Vayzins,
Haults barons et mauvoisins,
Mostuéjouls et d’Arpaon,
Forts châteaux et beau renom,
Sévérac torture et pille,
Castelnau sur tous grapille,
Et Vitracq est sans rayson
Pour soi prétendre baron.
              (Voyage en son pays de Rouergue.)


Peu de pays ont été aussi continuellement que le Rouergue (comté de Rodez), les Causses et les Cévennes du Gard, en proie aux horreurs de la guerre. Presque sans interruption s’y sont succédé pendant seize cents ans les Vandales, les Sarrasins, les Albigeois, les Anglais, les Armagnacs, Merle et ses calvinistes, les Camisards, enfin les républicains et les royalistes de 1793, sans parler des querelles de manoir à manoir, des luttes armées des petits seigneurs. L’état voisin du néant de presque toutes les ruines parsemées aujourd’hui sur les rocs, montre l’acharnement développé durant ces seize siècles de tueries.

Selon un ancien auteur, Fromentau, qui écrivait en 1581, le Rouergue, de 1561 à 1580, aurait été imposé pour 83,422,000 livres (environ 1 milliard de notre monnaie), dont 6,507,000 seulement au profit de la royauté ; 18,832 individus auraient été tués ou massacrés, et 1,763 maisons détruites.

« Mais de 1581 à 1598, époque de la pacification par l’édit de Nantes, la guerre