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les cévennes

celle du causse Noir, qui occupe tout notre sud. Moins haut, moins froid, moins dénudé, plus accidenté, plus habité que le pauvre Méjean, le causse Noir ne charme cependant pas plus la vue, qui cherche toujours à plonger dans les architecturales vallées de la Jonte et du Tarn ; çà et là pourtant, de grandes tours de défense font saillie à sa surface parmi les amas de ruines ; aujourd’hui nous les prenons pour de vieux donjons ; la suite du voyage nous détrompera, quand, à Saint-Véran, à Roquesaltes, à Montpellier-le-Vieux, au Rajol, ces fausses ruines se révéleront à nous sous la forme de monolithes rocheux, hauts de 20 à 120 mètres, d’amphithéâtres surnaturels et de villes sculptées par les érosions. Dans l’ouest, le Tarn s’écoule vers Millau, toujours à 400 ou 500 mètres en contrebas du causse Noir, mais moins écumeux, à travers les riantes plaines de Rivière, qui s’élargissent vers la rive droite, au pied des pentes plus douces de petits causses secondaires. Au coucher du soleil, redescendons du point 815 à Peyreleau ; devant les parois dorées et empourprées des dolomies rouges et jaunes, devant les cañons sombres, approfondis encore par la nuit qui règne déjà en bas, nous songerons involontairement aux paysages américains du Yellowstone, des Mauvaises Terres, du Marble-Cañon, de l’Arizona et du Yosemiti, que les riches publications du Geological Survey des États-Unis montrent comme les plus fantasmagoriques de la terre ! Soit à l’aller, soit au retour, l’excursion du point 815 implique celle du pont des Arcs, situé tout à fait à l’extrémité occidentale du ravin du Peyreleau, dans une gouttière du causse Noir, entre la Rouvière (720 m.) et Puech-Margue (811 m.). Nous l’avons découvert (sic), sur les indications de notre ami Fabié, le 23 juin 1889. Nulle publication n’en avait fait mention, aucun touriste ne l’avait vu précédemment. C’est cependant un pont naturel des plus curieux : il a 6 mètres d’ouverture et 4m,20 de hauteur, dont 35,50 sous voûte ; c’est-à-dire que le tablier, large de 1m,50 et sur lequel on chemine à l’aise, mesure 0m,70 d’épaisseur. La gravure ci-contre donne meilleure idée que toute description de cette étrange œuvre de nature, due à l’action des eaux. Les charrettes passant dessous. Il est impossible de le trouver sans un guide.

De Peyreleau à Millau, le Tarn n’est plus encagnonné : sur la rive gauche, cependant, les escarpements du causse Noir restent bien propres à surprendre le voyageur qui aborde pour la première fois le haut Tarn. Mais à droite, des vallons sans étrangeté entaillent le causse de Sévérac : la vallée principale est large, fertile, riante ; elle charme les yeux du touriste qui débouche des corridors d’amont ; elle ne saurait l’étonner. Une bonne et jolie route de 23 kilomètres longe paisiblement la rive droite de la rivière et traverse ou dessert les opulents villages de Mostuéjouls, Boyne, Rivière (1,191 hab. la comm., 310 aggl.), la Cresse, seule localité de la rive gauche (379 hab. la comm., 312 aggl.), Compeyre (602 hab. la comm., 449 aggl.) et Aguessac (775 hab. la comm., 627 aggl.), dont les caves font, pour la fabrication des fromages, concurrence à Roquefort. Mostuéjouls (Monsjunius ou Monte-joie) (V. p. 76), a une ancienne église romane du xiie siècle, qu’on a dû réparer récemment pour éviter sa ruine totale ; depuis huit siècles sans interruption, son château appartient à l’illustre famille de Mostuéjouls[1], dont les ancêtres, vaillants bannerets, devaient l’hommage aux seigneurs de Sévérac. Rivière est l’ancienne Ripperia ou Rippia. En face, sur la rive gauche du Tarn, et faisant pendant à la forteresse de Peyrelade (Vci-après),

  1. La première charte qui mentionne ce nom est de 1075.