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les cévennes


le plus pittoresque ; le Larzac enfin, le plus grand (plus de 1,000 kil. q.). Ces causses, « patrie disloquée des caussenards », sont de véritables déserts nus, tristes, monotones, sans eau, sans bois et presque sans habitants, plateaux uniques en France par leur configuration, leur aspect, leur climat[1].

Voici la page que leur consacre le maître par excellence ès géographie descriptive, Onésime Reclus, qu’aucun ouvrage sur une province quelconque de France ne saurait se dispenser de citer çà et là :

« Trop de soleil si le causse est bas, trop de neige s’il est élevé ; toujours et partout le vent qui tord des bois chétifs ; pour lac, une mare et pour rivière un casse-cou ; de rocheuses prairies tondues par des moutons et des brebis à laine fine ; des champs caillouteux d’orge, d’avoine, de pommes de terre, rarement de blé ; des vignes si l’altitude ne le défend pas ; un sol rouge ou blanc qui part de roches, qui finit à des roches et que la roche transperce ; des pierres ramassées une à une depuis tant et tant de siècles pour débarrasser ou pour enclore les domaines, pierres rangées en murs secs ou amoncelées en tas, presque en collines, comme des coins, des monticules de témoignage où des millions de passants auraient jeté leur caillou, en réprobation d’un meurtre, en souvenir d’une victime ; des buis, des pins, des chênes, quelques arbustes, débris isolés de l’antique forêt ; de nombreux dolmens qui rappellent des races disparues. Le caussenard seul peut aimer le causse ; mais tout citoyen du monde admire les gorges de puissante profondeur qui coupent ou contournent cette gigantesque acropole.

« En descendant, par des sentiers de chèvres, du plateau dans les précipices de rebord, on quitte brusquement la blocaille altérée pour les prairies murmurantes ; les horizons vastes, vagues et tristes, pour de joyeux petits coins du ciel et de la terre. En haut, sur la table de pierre, c’était le vent, le froid, la nudité, la pauvreté, la morosité, la laideur, le vide, car très peu de villages animent ces plateaux ; en bas, dans les vergers, c’est la tiédeur, la gaieté, l’abondance. Le contraste inouï que certains cañons font avec leurs Causses est une des plus rares beautés de la belle France. »

En France est le premier traité de géographie qui ait estimé à leur vrai mérite les gorges séparatives des grands Causses : Tarn entre Sauveterre et Méjean, Jonte entre Méjean et Noir, Dourbie entre Noir et Larzac, Vis entre Larzac et Cévennes.

Comme le fait deviner l’inspection attentive de la carte de l’état-major français au 80,000e (feuilles de Sévérac, 208 ; Alais, 209 ; Saint-Affrique, 220 ; le Vigan, 221), ces gorges sont des fissures immenses, profondes de 400 à 600 mètres, larges en bas de 30 à 300 mètres, en haut de 800 mètres à 2 kilomètres, et au fond desquelles les rivières coulent au pied de deux murailles souvent perpendiculaires dans toute leur élévation.

Dans ces corridors, qui n’ont pas de rivaux en Europe, le voyageur, en quelque sorte jeté dans une crevasse, n’aperçoit qu’un ruban de ciel entre les roches dentelées du rebord des Causses, et voit les vautours planer sur lui comme sur une proie. On pourrait croire qu’il fait triste et sombre en bas de leurs fossés

  1. Ce sont là les grands causses, car les environs de Rodez et le Quercy (département du Lot) possèdent d’autres plateaux calcaires identiques, hauts de 300 à 450 mètres, et où l’on connaît depuis longtemps les curieux sites de Salles-la-Source, Bozouls, Rocamadour ; toutefois l’étude de leur sous-sol avec ses grottes et rivières souterraines inexplorées n’est pas encore achevée.