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les causses. — les cañons. — la carte

« Montpellier-le-Vieux n’a point été bâti, comme fait l’homme, pierre sur pierre, par ajustement de blocs, mais comme le statuaire fait la statue, par enlèvement de substance. Le gel et le dégel, la foudre, le soleil, le vent, les pluies, ont taillé, vidé, limé la dolomie, par l’emport de ce que cette roche avait de plus mou ; les sels de fer ont coloré la masse résistante.

« Les âges ont ainsi sculpté cette ville sans hommes dans une solitude sans arbres, sinon quelques pins, des arbousiers, des églantiers, des buissons et festons de verdure. Ils ont entassé là toutes les architectures : dolmens, menhirs, avenues, obélisques, pylônes, cirques et colisées, maisons carrées, dédales et labyrinthes, arches triomphales, et surtout des châteaux militaires, des « cités de Carcassonne », avec murs d’enceinte, tours et tourelles, donjons, créneaux, préaux, poternes, meurtrières et mâchicoulis ; tout cela rugueux, raboteux, monstrueux, et pourtant régulier dans son dispersement et son irrégularité, car le même ouvrier, la nature, y travaille la même pierre[1]. »

Mais n’anticipons pas sur les explications détaillées, et voyons un peu dans quel pays nous allons voyager.

Les Causses sont ces grands plateaux calcaires qui forment, entre Mende, Rodez et Montpellier, le talus méridional du massif central français et la déclivité occidentale des Cévennes, et qui semblent s’appuyer à l’est sur les granits et les schistes du mont Lozère (1,702 m.) et de l’Aigoual (1,567 m.). Comme un golfe en forme de Z épais, ils pénètrent et divisent en deux portions les terrains schisteux des Cévennes méridionales. Espalion, Marvejols et Mende, c’est-à-dire le bassin du Lot, forment leur limite septentrionale ; sur Florac, l’Aigoual, le Vigan et l’Hérault, ils sont coupés à pic vers l’est ; le riant bassin de Lodève en est le portail méridional ; à l’ouest enfin, Saint-Affrique se place à l’angle inférieur, et Rodez à la pointe gauche supérieure du Z. Sur une carte géologique de France[2], cette disposition saute aux yeux. Les Causses couvrent donc une grande partie des départements français du Lot, de la Lozère, de l’Aveyron, du Gard et de l’Hérault. Leur nom, emblème de leur composition minéralogique, vient du latin calx (chaux), par l’intermédiaire du patois caous[3]. La géologie nous expliquera comment ces tables calcaires, presque horizontales, ont été formées jadis au fond des océans de la période secondaire, par les lentes accumulations de grains de sable et de débris organiques (squelettes et coquilles), épaisses de plus de 500 mètres ; au lendemain du dessèchement de ces mers, dites jurassiques, elles ne constituaient qu’une seule masse continue ; ensuite, l’action des pluies, le ruissellement et les érosions dessinant, creusant et approfondissant, à chaque siècle davantage, d’étroites vallées, ont, de haut en bas, tronçonné leurs strates superposées en une multitude de petits causses secondaires et en quatre causses principaux, les hauts causses, les causses majeurs, élevés de 800 à 1,200 mètres, et qui sont, du nord au sud : le causse de Sauveterre, le moins stérile de tous ; le causse Méjean ou Méjan (du milieu), le plus aride, élevé et isolé (320 kil. q.), rattaché à l’Aigoual par un isthme qui, en un certain point, n’a que 10 mètres de largeur ; le causse Noir, le plus petit, mais aussi

  1. O. Reclus, la France et ses colonies, t. Ier en France, p. 46. Paris, Hachette, 1887, in-8o.
  2. Carte géologique de France au 1,000,000e, publiée par le ministère des travaux publics. Paris, Baudry, 1889, 4 feuilles, 9 fr. 50. — Vasseur et Carrez, Carte géologique de France au 500,000e, Paris, Dagincourt, 1889, 48 feuilles, 200 francs, — Dufrénoy et Élie de Beaumont, Carte géologique de la France au 2,000,000e et au 500,000e.
  3. Les anciens actes disent Caucium sive corona.