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les cévennes

forment aujourd’hui les fossés extérieurs immenses de la cité ; 2° affouillé par voie de tourbillons les cinq grands cirques et les rues qui occupent actuellement, entre 706 et 830 mètres d’altitude, les 120 hectares de la ville haute et fermée.

Plus tard, cinq vrais petits lacs (le nom a même subsisté pour l’un des cirques) se seront accumulés en arrière du barrage dolomitique ; celui-ci, cédant sur ses points faibles, aura livré passage à leurs flots par les fissures et les brèches que l’on voit à présent aux débouchés des cinq cirques ; à mesure que le barrage se rompait, les rocs non entraînés, mais de plus en plus ciselés par les eaux, s’élevaient comme des îles au milieu des lacs, dont le plan baissait à chaque nouvelle brèche. On a la preuve formelle de cet abaissement en échelons dans les gradins superposés, lignes d’érosion ou niveaux successifs de rives que l’on remarque partout à Montpellier-le-Vieux. Puis le courant se sera modéré ; les ravins, assez approfondis, auront suffi à le débiter, et les anciens lacs quasi aériens se seront vidés faute d’aliment. Il n’en reste qu’un archipel de rocs étranges, suspendu derrière son ancien rivage ébréché.

Mais comment l’eau s’est-elle maintenue dans les cinq cuvettes en question, sur un fond de sable et de calcaire ? À ceci l’examen des lieux permet de répondre en toute sûreté.

Sous les cinq arènes s’étend une couche d’argile qui déverse actuellement sur le pourtour, sur les pentes du socle de Montpellier-le-Vieux, quatre ou cinq menues sources, et qui distille à grand peine, par ces mêmes fontaines, les pluies du ciel. Le niveau de cette couche est compris entre 650 et 700 mètres ; elle affleure dans les ravins qui descendent à la Dourbie ; c’est elle, qui a maintenu les cinq petits lacs sur leur fond ; sans elle, ils se fussent évanouis par les pores du calcaire sous-jacent et n’auraient pas fouillé leurs étonnantes sculptures.

On voit que la réunion fortuite de deux circonstances a créé, en résumé, Montpellier-le-Vieux : 1° une ceinture résistante de dolomie compacte disposée en ovale autour d’une zone moins cohérente ; 2° un sous-sol d’argile imperméable empêchant l’infiltration des eaux.

Je ne crois pas que Montpellier-le-Vieux ait servi d’abri ni de nécropole aux populations préhistoriques ; ces grands spectres rocheux devaient faire peur aux hommes primitifs, qui se seraient d’ailleurs trouvés là trop éloignés de toute eau potable. Du reste, une tranchée profonde et des fouilles attentives dans la grotte des Rouquettes n’ont donné, jusqu’au roc vif, que du sable dolomitique et quelques vestiges d’ours des cavernes. Aux alentours, sur le causse Noir, on trouve fréquemment en pleins champs des amas de poteries grossières et de tuiles ornées, vraisemblablement gallo-romaines, c’est-à-dire d’un âge historique.

M. de Malafosse, au contraire, pense que les hommes des anciens âges ont habité ces grottes, couloirs et encorbellements, à cause de la profondeur de la retraite et de la facilité de sa défense.

Actuellement il est sage de ne pas se prononcer formellement sur cette question : elle n’a pas encore été suffisamment étudiée par le moyen de fouilles méthodiques.

Il y a vingt ans, Montpellier-le-Vieux était une épaisse forêt presque impénétrable : les loups en avaient fait leur repaire. Le vieux père Robert (mort en 1887), de Maubert, m’a conté que plus d’une fois, les soirs d’hivers, il avait vu, des fenêtres de sa ferme, leurs yeux ardents briller sur la neige, et que les bergeries alors avaient besoin de portes solides. Depuis, des coupes réglées et