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les cévennes

À travers les fissures du sol, les gouttes d’eau finissent par arriver aux voûtes des grottes, et voici alors le travail qu’elles opèrent ; personne ne l’a mieux expliqué qu’Elisée Reclus :

« En passant dans la masse calcaire, chacune des gouttelettes dissout une certaine quantité de carbonate de chaux, qu’elle abandonne ensuite, à l’air libre, sur la voûte ou sur les parois de la grotte. En tombant, la goutte d’eau laisse attaché à la pierre un petit anneau d’une substance blanchâtre : c’est le commencement de la stalactite. Une autre goutte vient trembler à cet anneau, le prolonge en ajoutant à ses bords un mince dépôt circulaire de chaux, puis tombe à son tour. Ainsi se succèdent indéfiniment les gouttes et les gouttes, dégageant chacune les molécules de chaux qu’elles contenaient et formant à la longue de frêles tubes, autour desquels s’accumulent lentement les dépôts calcaires. Mais l’eau qui se détache des stalactites n’a pas encore perdu toutes les particules de pierre qu’elle avait dissoutes ; elle en conserve assez pour élever les stalagmites et toutes les concrétions mamelonnées qui hérissent ou recouvrent le sol de la grotte. On sait quelle décoration féerique certaines cavernes doivent à ce suintement continu de l’eau à travers les voûtes. Il est sur la terre peu de spectacles, plus étonnants que celui des galeries souterraines, dont les colonnades d’un blanc mat, les innombrables pendentifs et les groupes divers, semblables à des statues voilées, n’ont pas encore été salis par la fumée des torches. Les cavernes à stalactites ne peuvent garder leur beauté première qu’à la condition de ne pas être livrées à la curiosité banale, et combien sont nombreux pourtant ces admirateurs vulgaires qui, sous prétexte d’aimer la nature ; cherchent à la profaner !

« À la longue, cependant, les couches concentriques molles finissent par disparaître, et sont remplacées par des formes plus ou moins cristallines ; car, dans toutes les circonstances où des molécules solides se trouvent dans des conditions constantes d’imbibition par l’eau, les cristaux se produisent facilement. Tôt ou tard, les stalactites, s’abaissant en rideaux et rejoignant les aiguilles qui s’élèvent du sol, obstruent les étranglements, ferment les défilés et séparent les cavernes en salles distinctes. Quant aux objets épars sur le sol des grottes, ils sont peu à peu cachés par la concrétion calcaire qui s’épaissit autour d’eux. C’est en général sous une croûte de pierre lentement déposée par l’eau d’infiltration que les géologues trouvent les restes des animaux et des hommes qui habitaient autrefois les cavernes des montagnes. » (La Terre, t. Ier, p. 352.)

« Quand les stalagmites ont rejoint les pendentifs de la voûte, il en résulte de véritables colonnes, à la surface desquelles miroitent d’innombrables petits cristaux de calcite. Si le plafond est découpé par des fentes, les suintements calcaires en accusent les parcours par de véritables draperies reproduisant les sinuosités des fissures, et ainsi naissent, par le lent travail des eaux venues de la surface, toutes ces apparences qui prêtent un si grand charme à la visite des grottes calcaires. » (De Lapparent, p. 334.)

Rappelons, pour mémoire seulement, la fantastique conception du botaniste Tournefort (1656-1708), qui, après avoir visité la grotte d’Antiparos, dans l’archipel grec (Voyage dans le Levant, t. Ier, p. 187; édit. in-4o, 1717), prétendit que la pierre dans les cavernes poussait comme les plantes ; la ressemblance des concrétions avec des troncs ou des branches d’arbres et leur structure interne en couches concentriques lui avaient inspiré cette utopie de la « végétation des pierres ».

Il est impossible de connaître exactement la vitesse d’accroissement des