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les cévennes

Les plantes aussi, mousses et cryptogames, sont jusqu’ici mal connues.

En dehors de l’histoire naturelle, on peut faire sous terre des observations précieuses pour la géologie, la physique du globe (température, pesanteur, etc.) et diverses autres branches du savoir humain.

Bref, il y a véritablement une science spéciale, pour laquelle la France, avec son abondance de terrains calcaires, est un champ fertile.

La Hœhlenkunde (étude des grottes), la Hœhlenforschung (exploration des grottes), la grottologie (si l’on veut bien me permettre ce néologisme, seul capable de traduire le vocable allemand) est déjà organisée en Autriche. En Istrie, plusieurs naturalistes et alpinistes de Trieste conduisent depuis quelques années la reconnaissance systématique des rivières souterraines du Karst, vraie terre promise des cavernes. Ils ont parcouru et levé topographiquement de nombreux kilomètres de galeries. On ne peut que souhaiter de voir l’exemple devenir contagieux[1].

Certes, les traités de géologie et de géographie nous trahissent maints secrets des eaux souterraines et nous décrivent maintes grottes immenses, et celle du Mammouth (Kentucky) n’a pas révélé jusqu’ici moins de 240 kilomètres de salles et corridors ; mais que l’on ne croie pas pour cela cette branche de la science terrestre bien avancée ; loin de là : le sujet n’est qu’effleuré, et le hasard seul a presque tout fourni ; donc, en présence des merveilles, déjà célèbres et recommandées dans tous les Guides, d’Adelsberg, de Saint-Canzian, de Han-sur-Lesse, de Rochefort, de Miremont, de Ganges, etc., que devons-nous attendre d’une étude raisonnée, d’une méthode scientifique ? La découverte de scènes plus admirables encore et la résolution de problèmes physiques à peine posés aujourd’hui.

Mais la tâche est dure à accomplir, car mille difficultés, de grands dangers même, entravent les recherches au lointain des cavernes.

Les montagnes de neige ont leurs ouragans, leurs avalanches et leurs crevasses ; aux grottes sont dévolus l’obscurité, les éboulements et les précipices noirs où mugissent les torrents cachés. Comme escalades de roches, le labeur gymnastique et les périls de chutes ou de glissades s’équivalent ; et l’absence de jour, la nécessité des lumières artificielles, ne provoquent pas moins d’erreurs fatales ou de situations critiques que le brouillard et les tourmentes glacées. Au mal des montagnes fait pendant l’humidité, toujours incommodante ; et sur le tout brochent parfois les émanations d’acide carbonique ou d’autres gaz délétères.

En revanche, quelles surprises féeriques, quels grandioses spectacles, quelle fièvre enivrante d’inconnu, quand, dans une caverne neuve, forcée pour la première fois, les hauts dômes étincelants de carbonate de chaux succèdent aux longues galeries soutenues par de scintillantes stalagmites, reflètent leurs plafonds constellés d’étoiles cristallines et frangés de draperies d’albâtre trans- parent dans le miroir sombre d’un lac mystérieux, et aboutissent aux fracassantes cascades d’une rivière écroulée dans l’abîme insondable ! Et comme cadre à ces tableaux sublimes, que toutes les descriptions ont appelés palais des fées, l’obscurité pesante, impressionnante, déchirée par la lueur éblouissante des feux électriques, comme une nuit d’orage par des faisceaux d’éclairs.

Pittoresque, difficultés et dangers se marient sous terre comme sur les monts, et c’est pourquoi l’on peut bien dire que le grottisme (côté sportif de la grottologie)

  1. Le célèbre grottologue Schmidl y a découvert et relevé 18 kilomètres de cavernes ; — dans les Causses nous avons déjà fait le plan de 30 kilomètres de grottes nouvelles (1888-1892).