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les cévennes

Tenant à donner mon impression personnelle et ne voulant parler que des grottes les plus visitées des touristes, j’estime que Dargilan est, en beauté, inférieure à Adelsberg et Han-sur-Lesse, supérieure à Ganges et Rochefort ; ces quatre éléments de comparaison suffisent amplement d’ailleurs pour formuler une juste appréciation. J’ajoute en hâte que toutes ces grottes diffèrent entièrement, qu’aucune ne fait tort à l’autre et que chacune mérite une visite particulière, pour une attraction spéciale manquant aux autres[1]. Adelsberg offre la largeur de ses corridors, la profusion et la richesse de ses concrétions calcaires, un lac et un cours d’eau, l’étendue de ses salles et voûtes, en un mot la réunion de tout ce qu’on va admirer dans les cavernes ; mais elle est à peu près uniforme de niveau, privée de ces puits et de ces descentes raides qui ajoutent le charme de la difficulté vaincue et augmentent le plaisir en le faisant acheter. Han-sur-Lesse possède son dôme grandiose et sa sortie enchantée en barque, avec un effet de lumière peut-être unique au monde ; en revanche, l’ornementation des parois est gâtée, et les cristallisations sont voilées par la suie des torches et des lampes ; puis les coups de canon que l’on y tire en enfument perpétuellement l’atmosphère et nuisent souvent à la transparence et à l’éclat. La descente mélodramatique de Rochefort pourrait s’appeler l’Escalier de l’enfer ; la salle du Sabbat montre sa coupe très hardie et de jolies draperies ; mais aucune coupole n’atteint là des dimensions colossales. À Ganges, la façon dont on arrive à la splendide salle de la Vierge par le haut, pour y descendre en spirale le long d’échelles en fer, est une grande bizarrerie souterraine : par contre, point de nappes d’eau ni d’autres grandes salles, et puis, comme à Han, tout est enfumé et encrassé par la résine. Dargilan enfin se distingue par le peu d’étendue des couloirs, le nombre des grandes salles (vingt en tout, mesurant de 20 à 190 mètres de longueur et de 10 à 70 mètres de hauteur), la finesse, la taille et la variété de ses concrétions, sa pénétration à une grande profondeur et la pittoresque disposition de ses trois branches : cependant elle abonde moins en détails et elle est de proportions moins vastes qu’Adelsberg et Han.

Je n’ai point voulu, comme pour Bramabiau (V. chap. XI), faire le journal de la découverte : je ne puis cependant omettre quelques péripéties survenues dans l’exploration de la branche ouest. Lors de la première visite, notre compagnon, M. Fabié, demeura seul en haut de la galerie de la Corde avec une courte bougie : Louis Armand (celui-là même qui était tombé dans la rivière souterraine des Douzes), notre mineur et moi poussâmes ce jour-là jusqu’à l’impasse du Fuseau ; en remontant au point où nous avions laissé notre compagnon, nous ne l’y trouvâmes plus ! J’éprouvai une angoisse folle, courte heureusement, car à nos appels désespérés une voix lointaine et terrifiée répondit bientôt et nous guida vers l’absent. Il y avait près de trois heures que nous l’avions quitté, alors que nous pensions être restés séparés une demi-heure à peine ; nos signaux

  1. Les grottes d’Amérique, et surtout du Kentucky, de la Virginie et de l’Indiana (États-Unis), sont de beaucoup plus étendues, mais leurs accidents paraissent être bien moins variés et moins pittoresques ; les principales sont : Grotte du Mammouth, 240 kil. (en 226 branches ou avenues) de longueur ; la plus grande salle a 240 mètres de longueur, 90 de largeur, 37m,50 de hauteur ; — Grottes de Wyandott (37 kil,6), de Nikajack (19 kil.) et de Howes (11 kil,2). (V. C. Fruwirth, Petermann’s Mittheilungen, juillet 1888.) En 1859 on connaissait dans la grotte du Mammouth 57 dômes, 11 lacs, 7 rivières, 8 cataractes et 32 puits. Depuis on y a fait encore d’autres découvertes. — V. Poussielgue, Tour du monde, 1863, 2e  sem.; — Bullit, Rambles in the Mammoth cave ; 1844; — Forwood, The Mammoth cave ; 1870; — Packard and Putnam, The Inhabitants of Mammoth cave ; 1872; — Encyclopédie britannique, 9e édit., t. XV, avec plan détaillé (p. 449).