Page:Martel - Les Cévennes et la région des causses, 1893.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
les cévennes

de quelques kilomètres seulement, fait mouvoir plusieurs usines avant de se jeter dans l’Hérault au Moulin-Neuf ; près de Brissac, un avenc permet d’apercevoir la nappe liquide intérieure, à 25 mètres environ en contrebas ; le miroir de l’eau scintille aussi dans une deuxième cavité, cette fois presque à fleur de terre, à quelques mètres de l’endroit où la source jaillit et se transforme bientôt en rivière.

Au petit avenc inférieur on peut, grâce à l’effondrement de la voûte sur une vingtaine de mètres, toucher presque la nappe liquide à ciel ouvert. L’eau en est froide et très limpide, et l’on y pêche de belles anguilles. On n’a aucune donnée certaine sur la profondeur du gouffre, qui paraît considérable.

N’est-ce pas un intéressant caprice de la nature que celui qui permet ainsi, au moyen des avens des causses, des cénotés du Mexique, des foibes du Karst istriote, des catavothres de Grèce et autres puits forés dans les calcaires, d’épier quelquefois le cours des rivières en amont même de leurs sources ?

D’autres avens sont percés dans les flancs de la Séranne.

Le plus célèbre est celui de Rabanel, où nous sommes descendus les 29 juin et 3 juillet 1889. (V. p. 80.) Nous y avons rencontré, entre 170 et 212 mètres de profondeur, le lit d’une rivière temporaire qui paraît ne couler qu’après les grandes pluies et s’y perdre dans d’énormes masses d’argile fissurée. ( V. le plan, chap. XXIII.) Ceci explique comment la source de Brissac, située à 1,300 mètres à l’ouest-sud-ouest et à peu près au niveau du fond de Rabanel, se trouble et devient vaseuse à la suite des orages.

La vallée du Buèges, au sud-ouest de Brissac, inconnue des touristes, est très pittoresque, d’aspect africain, au pied des escarpements gris et nus de la Séranne, qui la dominent de 600 mètres : au milieu, le village de Saint-Jean forme un tableau bien original, avec son pont du Moyen Âge, son vieux château, et un farouche roc en pain de sucre haut de 250 mètres. (V. la gravure.)

Le Buèges a 15 kilomètres de cours entre la Séranne et le causse de la Selle. À Méjanel, au pied de Peyre-Martine (782 m.), sa source ordinaire est une foux puissante au fond d’un cirque très escarpé ; elle se grossit parfois de courants temporaires torrentueux, notamment du ruisseau de Pontel, qui court du sud-ouest depuis 5 kilomètres. Il y a un moulin à l’altitude de 167 mètres. Une route unit Ganges à Pégairolles-de-Buèges (204 hab. la comm., 131 aggl.), dont la tour (290 m.), signalée par les officiers d’état-major, domine de plus de 100 mètres la foux du Buèges, sise a son pied nord. Sous cette même route, à Saint-Jean-de-Buèges (614 hab. la comm., 607 aggl.), le ruisseau passe à moins de 140 mètres d’altitude, et la crête de la Séranne, haute à gauche de 730 et 763 mètres, éloignée à vol d’oiseau de 1,200 mètres seulement, doit lui cacher le soleil bien longtemps avant son coucher. Enfin, de Saint-Jean au pont d’Embougette (confluent de l’Hérault) le ravin du Buèges a encore 10 kilomètres de sinuosités : pas une maison, à peine de chemins sur les rives, un ou deux ponceaux, plus de 200 mètres de creux, et parfois moins de 500 mètres de largeur au sommet !

L’Hérault, de Saint-Bauzille au village célèbre de Saint-Guilhem-le-Désert, s’abaisse de 50 mètres en 33 kilomètres (1m,55 par kil.); quelques moulins le barrent, deux ou trois ponts le franchissent, mais 16 kilomètres et demi sur ces 33 sont dépourvus de routes, et à peu près de sentiers riverains ; aucun bateau n’avait jamais effectué cette descente ; en somme, plus de la moitié restait à visiter de cet autre véritable petit cañon, calcaire aussi, et profond de 150 à 400 mètres. Les