De ce Saint-Bernard de l’Aigoual (où six chanoines sonnaient la cloche et allumaient des feux comme signaux lors des bourrasques) il subsiste : 1o une muraille d’environ 12 mètres de longueur, que perce une porte en plein cintre avec trois consoles, supportant sans doute jadis des mâchicoulis, et flanquée de deux épais contreforts : le tout, de construction assez peu soignée, est du xive ou xve siècle seulement ; 2o la moitié de la chapelle, petite[1], massive et nue, mais des plus intéressantes pour l’archéologue : l’appareillage en est admirable ; les murs, épais de 1m,32, se composent de deux parements, l’un extérieur, l’autre intérieur, en gros blocs de grès du lias ayant jusqu’à 80 centimètres de longueur, et d’un blocage de pierrailles perdues entre les deux parements, le tout sans ciment. Cette dernière particularité est ce qu’il y a de plus remarquable dans les ruines de Bonheur, et permet de faire remonter les restes de la chapelle à la fondation de l’an 1002. En effet, les architectes romans primitifs ont seuls contrefait ainsi le grand appareil romain ; dès la fin du xie siècle ils abandonnèrent, ayant appris la coupe des pierres et l’art du claveau, qui donnaient aux édifices à la fois plus de solidité et de légèreté. Toutefois il faut reconnaître que la taille des blocs de Bonheur est irréprochable, puisque les murs non abattus par l’homme ont résisté à toutes les intempéries depuis près de neuf siècles.
Car le temps a été plus respectueux pour le monument que les démolisseurs du moyen âge, qui ont détruit la nef, jadis unique, longue de 12 mètres, large de 5, comme on peut le constater d’après les traces de fondations non arrachées du sol. On ne voit plus debout que le transept et l’abside. Le transept comprenait la croisée (formant chœur), large, comme la nef, de 5 mètres et longue seulement de 3, et deux chapelles (bras de la croix) de 2 mètres de large, avec absidioles. L’abside est en simple cul-de-four, ainsi que dans les vieilles églises latines, large aussi de 5 mètres et profonde de 4 ; toutes les voûtes sont en berceau, c’est-à-dire de la plus ancienne forme. La grande arcade de séparation entre le chœur et la nef disparue est bouchée par un mur de clôture exactement semblable à celui, du xive ou xve siècle, qui confine à l’église. Serait-ce à cette époque que la ruine aurait pris place ? Nous n’avons pu trouver de documents historiques sur ce point. La chapelle de Bonheur, si insignifiante qu’elle apparaisse au premier coup d’œil, est donc un des plus vieux et curieux sanctuaires conservés en France. Aujourd’hui elle sert de bergerie, et une couche épaisse de fumier a remplacé son antique dallage de marbre ou de mosaïque.
Il y a deux routes de Camprieu à Meyrueis. L’ancienne, la plus courte (14 kilom.), la plus belle, devenue malheureusement mauvaise faute d’entretien, suit, à 1,225, 1,186, 1,183 mètres d’altitude, la crête même de la Croix de fer, ce pédoncule sans largeur qui relie le causse Noir à l’Aigoual, au nord du vallon de Saint-Sauveur-des-Pourcils. De cette langue de terre élevée, la vue est splendide : d’un côté, au sud, l’alcôve fantastique et la sortie de Bramabiau, bien amoindrie par 200 mètres au moins de contrebas ; la vallée toujours verdoyante du Trévesel, dominée à l’horizon par le château d’Espinassous, perché sur de grands rochers noirâtres ; les bois touffus de Saint-Sauveur et de Coupiac, le sommet granitique du Suquet (1,341 m.), les plateaux arides et dénudés du causse Noir, le village de Lanuéjols et les métairies qui l’entourent.
- ↑ Dimensions intérieures : longueur, 21 mètres ; largeur de nef, 5 mètres ; longueur du transept, 9 mètres.