envoyait dans l’autre monde ou les réservait, qui pour la geôle ou la galère, qui pour le supplice, quand il lui arrivait de les surprendre dans leurs villages, gardés du soleil par la forêt des châtaigniers séculaires.
« Pendant qu’on les tuait et qu’ils tuaient, beaucoup de leurs frères, échappant aux dragons royaux, gagnèrent la frontière des nations protestantes. Par dizaines, voire par centaines de milliers, ils secouèrent la poussière de leurs pieds sur le sol qui les avait nourris.
« En Allemagne, en Prusse, en Hollande, en Angleterre, on les reçut à bras ouverts, parce qu’ils étaient huguenots et parce qu’on savait qu’ils haïssaient passionnément la France. Des centaines d’entre eux franchirent la grande mer : les uns vers l’Afrique australe, où ils prirent leur demi-part à la création du peuple des Boers, pasteurs de langue hollandaise ; les autres vers l’Amérique du Sud, où ils furent les vrais fondateurs de la colonie de Surinam. » (O. Reclus.)
Le souvenir des paysans ou artisans, à peu près armés de leur seule exaltation religieuse, qui, comme les Cavalier et les Rolland, conduisirent contre les régiments du roi cette curieuse lutte de guérillas, est demeuré vivant parmi les populations actuelles ; les protestants, en effet, restent nombreux aujourd’hui dans les Cévennes, car Villars même dut renoncer à la violence pour détruire leur dogme, et, par diplomatie surtout, acquit l’honneur de pacifier la contrée.
Les huguenots des Cévennes, déjà exaspérés par les trop célèbres dragonnades ou missions bottées de Louvois, auxquelles, dès 1681, on avait donné le cruel mandat d’extirper par la force la foi protestante de toute la France, ne ratifièrent pas l’impolitique révocation de l’édit de Nantes en 1685 et ne se décidèrent pas non plus à une expatriation définitive en masse. Nicolas Lamoignon de Basville (1648-1724), alors intendant du Languedoc (1685-1718), tenta de les réduire par la tyrannie : impôts écrasants, fermeture des temples, razzias militaires, ne réussirent qu’à donner aux opprimés l’habitude des réunions clandestines au fond des bois, derrière les rochers où s’observait le culte défendu. Dans ces solitudes germa la révolte. L’intendant lui-même, peut-être agent non responsable de l’inflexibilité de Louvois, prit pour auxiliaire un prêtre, l’abbé François de Langlade du Chayla, inspecteur des missions des Cévennes, prieur de Laval, archiprêtre et ancien missionnaire à Siam, qui dut transformer en prison le presbytère du Pont-de-Montvert, aux sources du Tarn. La fermeté avec laquelle l’abbé prit à cœur d’exécuter les ordres royaux fit de lui, aux yeux des protestants, un véritable fanatique ; il n’est pas de crime que la haine de ses adversaires religieux ne lui ait imputé ; et l’imagination des prédicateurs camisards raffinait à plaisir sur les soi-disant tortures qu’il infligeait à ses prisonniers. Si grande que fût à ce sujet l’exagération, toujours est-il que l’abbé du Chayla devint la première victime de la réaction, qui n’avait couvé quinze ans que pour éclater plus terrible. Surexcités par quelques meneurs, cinquante hommes, dans la nuit du 24 au 25 juillet 1702, forcèrent, en chantant un psaume, la porte du presbytère du Pont-de-Montvert ; d’abord ils délivrèrent les prisonniers, puis s’emparèrent de l’abbé du Chayla, le massacrèrent et le pendirent.
En vain de Basville redoubla de rigueurs : la guerre des Camisards était commencée. Conséquence de la grande faute despotique de Louis XIV, elle devait ruiner les Cévennes !
On désigna les révoltés sous ce nom, parce qu’ils portaient sur leurs vêtements,