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le mont lozère

maisons, dominées par un élégant clocher ; aux environs, des prairies fertiles, des champs couverts d’arbres fruitiers ; les eaux limpides de la rivière ; de grands arbres ombrageant mille sources fécondantes : voilà Bédouès. Son église, du xive siècle, jadis fortifiée, a perdu tout caractère dans un remaniement récent. On y a retrouvé en 1834 le caveau funéraire de la famille du pape Urbain V[1].

Ensuite vient Cocurès (348 hab., 348 aggl. ; 624 m.), qui a gardé le souvenir lugubre des guerres de religion. Le lit du Tarn se resserre. Entre Cocurès et Miral, on y remarque une série de bassins naturels creusés dans le granit.

La route fait un léger contour et amène brusquement à l’extrémité d’un petit monticule. En face se dressent les liantes murailles du château de Miral. Bâti sur les bords d’un précipice, il n’est accessible que d’un côté. Les robustes murailles ont résisté aux coups du temps. Les salles sont encore intactes, mais les seigneurs de Runes ont disparu.

Miral est à 650 mètres d’altitude, et le Tarn, à ses pieds, à 608. À droite, le Tarn conduit au Pont-de-Montvert ; à gauche, le « valat » de Runes monte à la cascade. Peu pittoresque est l’escalade que fait la vieille route. De tous côtés, d’énormes masses de granit menacent de rouler dans la vallée. Sur le flanc des monts, tout est nu et sauvage.

En bas, quelques châtaigniers rompus par les ouragans. Et c’est tout. Le pays est triste, affreux. Rien ne vit. Nous n’avons pas les superbes rochers des gorges de l’Allier, ni les grottes profondes, ni les orgueilleuses falaises qui couronnent le causse Méjean.

Mais tout change après Ruas, vers la cote 869 ; au bord des ruisseaux bruyants, la verdure reparaît. Chaque rocher donne sa source. C’est la série des cascades qui commence.

La plus belle est celle de Runes, située au nord et en contre-haut du village de ce nom et de la route (994 m.). D’anciens actes nomment Ga d’Albaret le ruisseau de Miral qui s’y brise, curieuse réminiscence du mot gave, conservé dans les hautes montagnes du Béarn.

Dans les Alpes, les Pyrénées, la Norvège même, la cascade de Runes serait de deuxième ordre assurément, mais ne passerait certes pas inaperçue. Ici, au milieu de sa ravine du mont Lozère, on l’admire sans réserve, surtout quand, après la visite des Causses, on a complètement perdu l’habitude de voir des torrents s’écrouler, du haut en bas des parois rocheuses qu’aucun voile humide ne mouille, dans les cañons secs.

Vue d’en bas, la cascade ne paraît pas ce qu’elle est en réalité. Son resserrement la rapetisse. La colonne d’eau n’a pas moins de 62 mètres de hauteur. Elle tombe d’abord verticalement ; mais aux deux tiers de sa chute elle rencontre l’arête saillante du roc, se brise et rebondit avec une nouvelle force jusqu’au milieu du bassin qui la reçoit. Dans cette brisure, les gouttes d’eau se divisent à l’infini, et leur fine vapeur décompose la lumière du soleil en produisant mille arcs-en-ciel.

Le bassin qui reçoit les eaux de la cascade est semi-circulaire, creusé dans le roc, qualifié de gouffre insondable, et profond en réalité de quelques mètres au plus.

  1. Découverte du tombeau de la famille d’Urbain V à l’église de Bédouès, par l’abbé Couderc, curé : Bulletin, 1854, p. 78. — Notice sur l’église de Bédouès (Lozère), par l’abbé Couderc. Toulouse, in-8o.