Page:Martel - Les Cévennes et la région des causses, 1893.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
le mont lozère

ne songent point à restaurer. (V. p. 84.) L’armée débonnaire des moutons de Languedoc et de Provence envoie chaque année une part de son peuple bêlant dans la montagne de la Lozère, par de larges sentiers tondus, des drayes, qui furent de tout temps les mêmes. Or, comme on sait, toute pente broutée par le lanigère est par lui mise à vif ; il extirpe l’herbe autant qu’il la coupe ; la terre, à nu, s’éraille et s’écroule au premier orage. » De Villefort, chef-lieu de canton (1,418 hab. la comm., 1.136 aggl., 595 m.), où le chemin de fer accède, au nord comme au sud, par de magnifiques travaux d’art, on monte vers le sud-ouest, au roc Malpertus par le beau vallon de Palhères, assurément le plus curieux site de tout le massif après la haute gorge schisteuse du Tarn. Il est impossible d’admirer de plus puissants châtaigniers que ceux de Palhères, de Costeilades et du bois des Armes. Sous le roc même, le cirque de Costeilades, profond de 600 mètres, est peut-être ce qu’il y a de plus alpestre dans toutes les Cévennes. Pour peu que l’on se trompe de chemin, ce qui est fort aisé parmi des ravinements constamment bouleversés par les orages, on sera même réduit à escalader de vraies cheminées, parfois vertigineuses. Enfin, après 1,100 mètres et quatre heures d’ascension, on atteint le signal de Malpertus (Mauvais Pas) (1,683 m.), ou cime de Bellecoste, ou Truc de Cassini, qui porte encore les débris d’un observatoire bâti par Cassini pour ses opérations géodésiques, et remplacé en 1824 par le signal trigonométrique des officiers d’état major. Car l’amoncellement de blocs de granit qui forme le sommet de la montagne en ce point en fait un pic visible de loin.

Les sources du Tarn (très froides, 3 et 5 degrés centigrades seulement par 1,550 m. d’alt. environ), au pied sud-est du Malpertus, et la descente au Pont-de-Montvert par Bellecoste (1,379 m.), sur les bords de la naissante rivière, n’ont rien d’attrayant pour le promeneur, qui, s’il ne craint pas la fatigue, fera mieux de suivre, à 1,600 mètres d’altitude moyenne, les 14 kilomètres d’herbages qui le séparent du signal des Laubies à l’ouest.

C’est la région des pâturages, où les moutons de transhumance viennent chercher pendant quatre mois de l’année la nourriture que le bas Languedoc leur refuse à cette époque.

Là sourdent de part et d’autre, entre le gazon fin et la roche, les innombrables et minces filets d’eau, qui de ruisselets en ruisseaux et de ruisseaux en torrents, composent en bas les rivières du Tarn et du Lot.

Le long de toute cette crête, qui est un plateau, la vue habituelle est belle sur les Causses, l’Aigoual noir de forêts, le sombre Bougès, où commença l’insurrection des Camisards, le Palais du Roi, la Margeride, le Cantal et la double fosse du Pont-de-Montvert et du Bleymard.

Elle devient merveilleuse aux jours où, loin dans l’est, aucune gaze de vapeurs ne voile la blanche silhouette des Alpes, qui frange d’argent l’horizon bleu : rares sont ces jours d’entière transparence (V. p. 229), car il y a 60 lieues de la Lozère au mont Viso[1]. Ce qu’il est moins difficile d’admirer, ce sont les grises et roses falaises du causse Méjean à son cap d’Ispagnac, prodigieux emmarchement soutenant à 600 mètres en l’air la presque plane et doucement inclinée table de calcaire.

  1. Bull. de la Soc. d’études des sciences naturelles de Nîmes, septembre et octobre 1879.