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le gévaudan

homme, sauf parfois dans le milieu d’un couloir, où l’on croit reconnaître un retrait intentionnellement pratiqué ; puis, à 3, 4 ou 5 mètres, chaque couloir débouche dans une autre enceinte semblable à la première et donnant elle-même une ou deux nouvelles issues ; ainsi de suite se continue ce réseau souterrain tissu de mailles polygonales irrégulières, et dont chaque nœud n’est autre qu’un de ces petits refuges que les bergers savent si bien construire partout où les pierres sont à leur disposition.

« Ce petit labyrinthe, aujourd’hui en partie ruiné, semble avoir été établi sur une surface de 150 à 200 mètres carrés.

« On peut compter encore de dix à douze petites chambres, et l’on se demande si, dans la partie la plus reculée vers le nord, il n’existait pas une enceinte plus vaste, à laquelle donnait accès l’un des multiples couloirs que nous venons d’étudier.

« Constatons que le toit de cette mystérieuse substruction, presque partout recouvert de terre gazonnée, achevait de dissimuler son existence.

« Quittant ce dédale, remontons sur le plateau et dirigeons nos pas vers le sud, à 200 ou 300 mètres. À notre droite, un éboulis bien plus considérable, composé d’un appareil gigantesque, frappe notre regard, et nous nous demandons si là encore nos hommes aux muscles robustes, si avides de pittoresques constructions, n’auront pas mis à profit cet appareil tentateur.

« À peine engagés sur la pente risquons-nous parmi des roches anguleuses… Mais, devant nous, voilà, grande ouverte vers l’ouest, une porte cyclopéenne digne du monument dont elle est l’entrée. Trois blocs énormes suffisent à son élévation : deux pieds-droits et un linteau. Derrière ceux-ci, même répétition ; de nouveaux blocs se dressent, d’autres sont roulés sur leurs têtes… Entrons ; en trois pas nous franchissons ce sévère vestibule, puis, obliquant brusquement à gauche, nous voyons se dresser, irrégulièrement alignés, de nouveaux géants, sur lesquels dorment en travers leurs frères étendus… Nous sommes dans une allée couverte, très praticable sur une douzaine de mètres, mais dont le fond en ruine se perd dans le pêle-mêle des roches environnantes.

« Dans le premier abri, rien, sauf l’entrée, n’égale le second ; mais les dimensions des matériaux employés et leur position sur le flanc de la vallée semblent avoir imposé cette nouvelle structure.

« Ici encore, mystère. Sont-ce là des refuges pour servir de retraite en cas d’invasion aux habitants du village voisin ? Une peuplade nomade, aux temps préhistoriques, serait-elle venue s’établir en ces lieux ? Les archéologues trouveront assurément certains traits de parenté entre ces constructions et celles de l’âge des dolmens. Ici comme là, emploi des matériaux à l’état brut, sans trace aucune de marteau, de ciseau, etc.

«Quant à la tradition, elle est muette… à moins qu’on ne tienne compte de légendes absurdes[1], légendes qui néanmoins nous montrent à toute époque l’incertitude et le mystère planant sur ces ruines. »

Ces étranges demeures, en partie souterraines, ont été découvertes ou explorées de 1871 à 1877 par M. André, archiviste de la Lozère, et les abbés Louche et Boissonnade. M. Maurin, agent-voyer, en a levé le plan[2]. Elles ne sauraient

  1. Un chien serait entré dans le souterrain à la poursuite d’un lapin et serait allé sortir à Villeneuve (3 kil.) ou au château de Randon, au sommet de la Margeride (10 ou 12 kil.).
  2. Pour plus de détails, voyez Bulletin de la Société d’agriculture de la Lozère pour 1875, p. 115 et 157; —