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L’AUBRAC

ce sont surtout les Mémoires du docteur Prunières et de M. de Malafosse, disséminés dans divers recueils scientifiques, qui ont révélé les côtés les plus curieux, agriculture, géologie et préhistoire, de ce canton peu connu d’Aubrac. En somme, la monographie du pays reste à faire, grand travail dont le présent chapitre n’est que le sommaire.

L’Aubrac est ce plateau, long de 15 lieues, large de 13, en forme de pointe de flèche arrondie, qui se rattache vers l’est, par un étroit pédoncule, au point culminant des monts de la Margeride, le signal de Randon (1,554 m.), entre Saint-Amans-la-Lozère, chef-lieu de canton (393 hab. la comm., 212 aggl.), et Châteauneuf-de-Randon ; sur tout le reste de son pourtour, la Colagne, le Lot et la Truyère l’isolent des Causses et du Cantal ; le Bès, affluent gauche de la Truyère, partage en deux son ellipse irrégulière, dont toutes les eaux descendent au Lot.

Brusquement coupé à l’ouest et au sud sur cette rivière, il s’incline doucement au nord et à l’est. Vers le confluent du Lot et de la Truyère, son soubassement s’appelle plateau de la Vadène[1].

« Sa base de schiste et de granit est revêtue d’une large nappe de matière volcanique… Pendant plusieurs heures de marche, on n’y rencontre ni un arbre ni un buisson, rien que des fleurs au printemps, de l’herbe en été, de la neige en automne et en hiver. »

On ne peut nier que dans la belle saison cette immensité de pâturages, émaillés de fleurs aux milles couleurs, animés de troupeaux bruyants, n’ait un particulier cachet de grandeur et d’originalité : c’est la pampa argentine, la savane du Missouri, l’infini de la mer en un mot ; aussi l’a-t-on appelée un petit « Far West », un « désert d’herbes ». Mais sur cet océan de verdure les rudes éléments sont les maîtres, et leurs caprices deviennent terribles à 1,300 mètres d’altitude, sans rideaux de montagnes pour les refréner : le 3 septembre 1884, pendant un orage d’une violence inouïe, un seul coup de tonnerre tua 480 moutons dans un parc de 1,700 têtes. Quand les froides bises de l’automne balayent la plane surface ; quand les bruyères sont desséchées et les bestiaux descendus en plaine, le spleen seul règne là-haut, où rien ne rompt la monotonie et l’uniformité. Comment peuvent subsister les gens de la Calm, de la Guiole, de Saint-Ureize ou de Nasbinals, alors que l’hiver autour d’eux ensevelit toute vie sous son suaire de neige ? Aussi leur caractère fut-il longtemps sombre et farouche, et, jusqu’à ces dernières années, les bastonnades et les rixes ensanglantaient bien des veillées. Hâtons-nous d’ajouter que les juges de paix et les maires, aujourd’hui, n’ont plus de pareils désordres à réprimer. La bourrée et la musette sont actuellement les seuls restes de cette turbulence si redoutée.

Donc la traversée du plateau paraît longue ; et quand on vient de Marvejols, de la Margeride ou de Saint-Flour, on s’enfonce avec délices, après 8 ou 10 lieues de tourbières et d’humides pacages, dans les sombres vallées du versant sud-ouest. Toutes les Boraldes ou rivières qui descendent au Lot (Mardon, Merdanson, Moussauroux, Mossau, etc.) sont pittoresquement bordées de belles forêts, presque aussi noires que les colonnades basaltiques des croupes de partage ; les jolis sites et les hardis rochers ne manquent pas dans les bas thalwegs, cela est incontestable ; mais l’Aubrac est bien désavantageusement situé pour la

  1. Voir la carte de l’état-major au 80,000e, feuilles de Saint-Flour (185), Figeac (195) et Mende (196).