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les cévennes

à Nasbinals (1,155 m.). Elle se dirige vers le nord-ouest et passe d’abord près d’Antrenas (856 m. ; 346 hab. la comm., 39 aggl.), dont le manoir à tourelles est devenu une ferme.

À 10 kilomètres au nord-ouest, dans la vallée de la Crueize, se trouve le château de la Baume (propriété de M. Mayran, sénateur de l’Aveyron), qui a longtemps commandé sur l’Aubrac. Il appartient à divers âges. La tour du nord, aux mâchicoulis remarquables, date de la fin du xiv, et la façade du xvii.

Une mémoire a effacé dans la Baume celle de ses terribles barons ou des rois d’Aragon et de leurs fiefs de l’Aubrac : c’est le nom d’Angélique de Scoraille, qui, avant de recevoir de Louis XIV le titre de duchesse de Fontanges, a habité ce sombre château, peuplé de ses souvenirs. Bien que beaucoup aient disparu en 1793, il reste encore d’elle, dans sa chambre, un grand portrait, qui doit être une copie, malgré ce qu’en dit la tradition. Un faste de mauvais goût règne dans ces nombreuses salles boisées, couvertes de lourdes sculptures ou de peintures mythologiques.

Aux veillées d’hiver, les vieux bergers racontent qu’un ancien possesseur de la Baume, César de Grollée, lou Cesar, comme on le nomme encore, orgueilleux, dur au pauvre monde et ruinant ses vassaux pour dorer ses salons, ne peut en faire revenir son âme ; elle est là, sous la forme d’un chien noir, au pied de la grande tour, contre les murs de granit, quand vient la tourmente d’hiver. La bise et la neige hérissent son poil. Il tourne en vain autour de son ancienne demeure ; il n’y pénétrera pas et grelottera à la porte.

À l’entrée de la Motte est une grande moraine de granit et basalte que le géologue remarque de suite. Naguère une locomotive y venait prendre le sable nécessaire à la construction des beaux viaducs du chemin de fer inférieur.

Montée sur une voie improvisée, à l’américaine, avec des rampes invraisemblables, cette locomotive est restée légendaire par ses déraillements.

Tout le long de la route on rencontre des aiguilles de granit de 2 mètres de haut, plantées de distance en distance. Ce sont des guides ou montjoies signalant la direction à suivre quand, en hiver, la neige égalise tout et rend le chemin introuvable. À travers les parterres de fleurs au printemps et les plantureux pacages en été, on laisse à gauche Saint-Laurent-de-Muret (1,139 m. ; 671 hab. la comm., 87 aggl.), puis à droite Marchastel (270 hab. la comm., 95 aggl.), dont le beau rocher de basalte (1,267 m.) est dominé par les débris insignifiants d’un vieux château des rois d’Aragon, pris et rasé en 1586 par le duc de Joyeuse, dans sa campagne d’extermination en Gévaudan.

On traverse le Bès (à 1,151 m.) pour atteindre, en haut d’une côte, Montgros (1,220 m.), qui, quoique bien métamorphosé depuis l’ouverture de la route, offre encore certains types assez curieux de vieilles habitations. On y voit un genre de toitures autrefois très usité : des plaques de cette motte feutrée sur lesquelles la pluie glisse comme sur des ardoises, tant que le rude tissu n’est pas pourri.

Une série de pitons basaltiques s’échelonne aux alentours de Montgros et de Montgrousset, pittoresque sujet d’étude pour le savant.

Nasbinals, chef-lieu de canton lozérien de 1,387 habitants (796 aggl.), a une jolie petite église du xiv et une excellente auberge ; le commerce des fromages l’enrichit ; c’est le meilleur centre d’excursion de tout l’Aubrac.

Plusieurs routes s’y réunissent, venant de Marvejols, Aumont (Lozère), chef--