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la préhistoire et les fouilles du docteur prunières

(Édouard Lartet, Cartailhac, de Mortillet, Jeanjean, Forel, etc.[1]) ont soutenu aussi et soutiennent encore qu’il y avait eu une solution de continuité, un manque de transition, un hiatus, entre les deux périodes paléolithique et néolithique, si dissemblables par leurs caractères.

Les découvertes du docteur Prunières à la caverne de l’Homme-Mort, près Saint-Pierre-des-Tripiers (causse Méjean [V. p. 90]), aux Baumes-Chaudes (V. p. 73), etc., auraient complètement battu en brèche, selon MM. Broca et de Quatrefages, cette doctrine de l’hiatus[2].

Broca, dans son célèbre mémoire sur la Caverne de l’Homme-Mort[3], a énoncé qu’en Lozère des troglodytes, descendants des primitifs chasseurs de rennes, avaient vécu à côté des constructeurs de dolmens : « La station de l’Homme-Mort appartient certainement à la pierre polie, et il est clair cependant qu’elle se rattache, par plusieurs caractères d’une haute importance, à l’époque de la pierre taillée.

« La race de l’Homme-Mort était un débris de l’une des races de l’époque de la pierre taillée. Celles-ci n’ont donc pas été subitement exterminées à la fin de l’âge du renne. »

De son côté, voici comment M. de Quatrefages résume les travaux du docteur Prunières :

« Dans plusieurs cavernes de la Lozère, cet infatigable chercheur a découvert de nombreux squelettes dont la race est caractérisée par une dolichocéphalie[4] constante… Ces représentants de la race quaternaire étaient habituellement en guerre avec les constructeurs de dolmens. La preuve en est que plusieurs squelettes portent encore, fichées dans les os où elles avaient pénétré, des flèches dont l’origine néolithique est indiscutable. Les deux populations ont donc vécu à côté l’une de l’autre et se sont disputé jusqu’aux plateaux de nos plus hautes Cévennes[5].

« Bientôt il y eut entre les deux races des alliances, qui s’accusent par le métissage constaté ; enfin la race brachycéphale a fini par prédominer, au moins sur certains points. »

D’autre part encore, les découvertes de M. de Baye dans les grottes du Petit-Morin (Marne) et de M. Louis Lartet et Chaplain-Duparc à la grotte de Duruthy, près Peyrehorade, paraissent avoir confirmé celle de l’Homme-Mort quant à la question de l’hiatus.

C’est du moins l’opinion de M. de Quatrefages et celle de M. de Lapparent,

  1. 1. Cartailhac, Transition du paléolithique au néolithique. — De Mortillet, Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistorique, session de Bruxelles, 1873, p. 453 et 458.
  2. 2. Dr  Prunières, Cavernes de Beaumes-Chaudes : Bull. de la Soc. d’anthropologie de Paris, 1878, p. 260 et 420. — Id. Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, session de Bordeaux, 1872, p. 748. — Cazalis de Fondouce, Pierre polie et pierre taillée, lacune qui aurait existé entre ces deux âges : Revue d’anthropologie, 1874, t. III, p. 614.
  3. Broca, sur la Caverne de l’Homme-Mort : Congrès de Bruxelles, p. 182, et Revue d’anthropologie, t. II.
  4. On nomme dolichocéphales les crânes relativement longs et étroits, et brachycéphales les crânes relativement courts et larges (de deux mots grecs δολιχὸς et βραχὐς). Une certaine école d’anthropologistes attache une grande importance, au point de vue de la distinction des races, à la largeur relative du crâne. Peut-être cette importance est-elle exagérée, car il y a entre les formes extrêmes des transitions indispensables et des subdivisions toutes conventionnelles. Toujours est-il que ladite école considère les crânes dolichocéphales comme plus anciens que les brachycéphales, comme distinctifs de races moins civilisées : c’est sur ce principe que Broca et M. de Quatrefages ont basé leurs déductions tirées des fouilles Prunières. D’autres savants ont établi, au contraire, que les Chinois, très anciennement civilisés, sont dolichocéphales, et les Lapons, Samoyèdes, Cambodgiens, etc., brachycéphales, quoique bien plus arriérés ; pour eux il ne saurait y avoir là un caractère de race précis.
  5. De Quatrefages, Hommes fossiles et hommes sauvages. Paris, J.-B. Baillière, 1884, p. 99 et 105.