Page:Martel - Les Cévennes et la région des causses, 1893.djvu/393

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
386
les cévennes


CHAPITRE XXVII

la grotte de nabrigas et la poterie paléolithique.


L’homme quaternaire a-t-il connu la poterie ? — Géologie, préhistoire et anthropologie. — M. Joly à Nabrigas en 1835. — Nos fouilles de 1885. — Nouvelles découvertes en Belgique. — La poterie existait dès l’époque du grand ours.


Une des questions les plus débattues en préhistoire est celle de savoir si oui ou non l’homme de la pierre taillée, l’homme quaternaire, a connu la poterie, a pratiqué l’art, même rudimentaire, de la céramique.

Maintes fois déjà on a signalé des restes de poterie associés dans les cavernes aux animaux éteints de l’époque quaternaire. Les découvertes de Bize (Tournal, 1827), de Pondres (Christol, 1828), de Nabrigas (Joly, 1835), d’Aurignac (Lartet, 1862), etc., celles mêmes de M. Dupont en Belgique (trou de Frontal), ont été contestées ; plusieurs, avouons-le, ont été victorieusement battues en brèche ; mais les plus récentes ne sauraient l’être. Toutefois la discussion dure toujours. MM. de Mortillet, Cartailhac, Cazalis de Fondouce, Trutat, Evans, Lubbock, etc., affirment que l’homme de la pierre taillée n’a pas tenté le moindre essai de céramique. Ils ont pour adversaires Lartet, Christy (qui a fait mouler pour le British Museum un fragment trouvé en 1835 à Nabrigas), MM. de Quatrefages, Hamy, Joly, Dupont, de Ferry, Topinard, Garrigou, etc. ; ceux-ci ont admis, après mûr examen, l’authenticité de ces rares trouvailles, dont M. de Nadaillac a donné le meilleur résumé[1], et l’embarras est grand réellement pour les juges impartiaux, qui voient ces deux opinions contraires adoptées par des savants aussi également compétents que ceux que nous venons de nommer de part et d’autre.

Or la grotte de Nabrigas a jeté une vive lumière sur la question.

Les trouvailles objet de ce chapitre ne sont pas des nouveautés absolues ; elles corroborent seulement deux faits jusqu’ici contestés : l’un, particulier, géographique en quelque sorte, l’existence de l’homme dans la Lozère à l’époque du grand ours des cavernes ; l’autre, général, la connaissance de la poterie à cette même époque.

De plus, on verra se dégager de ce qui va suivre le vrai caractère de la préhistoire ; on comprendra comment cette science si jeune, qui cherche à connaître l’homme primitif si ancien, sert de liaison à deux autres : la géologie pure et l’anthropologie proprement dite, dont elle a besoin elle-même pour marcher avec succès dans la voie du progrès scientifique ; car si la préhistoire tient à l’anthropologie par son but, qui est la recherche de l’antiquité de l’espèce humaine, elle touche à la géologie par ses moyens, puisque la contemporanéité de l’homme et des espèces éteintes ne peut être prouvée que par la stratigraphie des gisements, c’est-à-dire par l’observation géologique.

La grotte de Nabrigas (V. p. 139) est située à 5 kilomètres ouest de Meyrueis

  1. V. De Nadaillac, les Premiers Hommes, t. Ier, p. 96. Masson, 1881, 2 vol. in-8o.