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le cañon du tarn. – d’ispagnac à sainte-énimie

dans ces escarpements resserrés, tombée comme un caillou au fond d’un abîme ceint de montagnes ?

« Sainte-Énimie a grandi en terrasses, zigzaguant sur les pentes à pic du Causse, son gracieux clocher levé parmi les rangées de maisons blanches, avec leurs toits gris d’acier et surplombants, des balcons habillés de treilles, et des petits jardins suspendus perchés en l’air. De tous côtés hors de la ville se trouvent des vignes, dorées par la maturité, des plantations de pêchers et d’amandiers, tandis qu’au-dessus et au loin les murs gris du Causse arrêtent tous les rayons du soleil sauf ceux de midi.

« … Le soir, le dernier éclat cramoisi du soleil couchant languit sur le sombre, grandiose causse Méjean. Tout le reste de la scène, les basses assises d’alentour sont dans une fraîche ombre grise ; tout argentée est l’atmosphère du tableau entier. Comme couleur, forme et composition, rien ne saurait être plus poétique. »

Sainte-Énimie est la capitale du cañon.

Elle s’est groupée autour d’une abbaye fondée au vie siècle par la vierge Enimie, fille de Clotaire le Jeune. Ce monastère, transformé en couvent d’hommes par le bénédictin Dalmace, en 951, devint le plus puissant du Gévaudan ; son origine royale lui assura toujours le bénéfice d’une indépendance dont ses prieurs surent intelligemment profiter. En 1788, il fut sécularisé ; en 1793, il fut mis à sac. Pendant trois jours on brûla les archives dans la cour ! Que de trésors historiques à jamais perdus ! Il ne subsiste des anciennes constructions qu’une salle capitulaire ou réfectoire (xiie siècle) intéressante, deux grosses tours découronnées et quelques débris du cloître, le tout occupé par une institution des frères des Écoles chrétiennes. Sur la voûte même du réfectoire on a établi une sorte de jardin d’où la vue est fort belle, car, tout en dominant le cours du Tarn, on s’y trouve au centre même du fond du grand puits de Sainte-Énimie.

À 150 mètres des anciens remparts du monastère, la fontaine de Burle (r. dr.), cause de la fondation de la ville, sort d’un bassin circulaire encombré de plantes aquatiques et qu’agite à peine un léger bouillonnement. Avant de se jeter dans la rivière, elle est utilisée pour l’irrigation des jardins.

Une autre source presque aussi considérable, nommée le Coussac, jaillit au ras même du Tarn. Les habitants du lieu disent que ce n’est qu’une branche de Burle et que les deux fontaines ont la même origine. La géologie semble s’accorder ici avec l’opinion populaire. Si ces deux sources ont réellement la même origine, c’est là le plus grand affluent que reçoive le Tarn dans ses gorges.

Sainte-Énimie avait 1,040 habitants en 1734, 1,194 en 1850, 1,063 en 1881, 1,032 en 1886 (la comm., 565 aggl.).

La petite ville paraît avoir été plus considérable aux siècles passés, si l’on en juge par divers restes de ses annales tronquées. Nous y voyons, entre autres faits, qu’en 1703 elle arma trois compagnies de volontaires pour aller combattre les Camisards, ce qui suppose évidemment plus de 1,200 âmes de population.

Cependant, d’après l’enquête de 1734, il n’y avait alors ni commerce ni industrie ; les productions se bornaient à « un peu de froment, seigle, orge et quelques légumes ; il y a aussi du vin, et très peu de foin ».

Ses habitants, très industrieux, ont métamorphosé en véritables jardins suspendus tous les rocs des alentours. Partout petites vignes et petits vergers pro-