Page:Martel - Les Cévennes et la région des causses, 1893.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39

le cañon du tarn. – de sainte-énimie à la malène

Sous l’ermitage, un ratch de début provoque de joyeuses exclamations de surprise chez ceux qui pour la première fois se confient ainsi au fil du Tarn ; puis ce « chemin qui marche » par excellence pénètre immédiatement dans une « rue » d’arbres et de falaises longue de 6 kilomètres, jusqu’à Saint-Chély.

Çà et là, de grandes roches s’avancent, servant de support à des vignes et à des vergers ; au loin se montre une colossale muraille rouge, qui fait coin et semble barrer le Tarn.

À pied, par la rive gauche, on quitte, au-delà du pont de Sainte-Énimie, les lacets de la route de voitures de Mende à Meyrueis par les causses, pour suivre un chemin muletier qui monte et descend tour à tour en contournant de superbes escarpements. Ce chemin, bordé de haies, traverse des champs en terrasses. Les vignes, respectées jusqu’à présent par le phylloxéra, donnent un excellent vin, qui supporte mal le transport et se conserve peu. Devant, un immense éperon de roches pourpres taillé à pic prolonge la muraille de la rive droite et s’avance brusquement dans la vallée, qui fléchit au sud. Une descente en lacets aigus tracés dans un étroit ravin rocheux conduit alors à Saint-Chély.

Mais par là on est trop haut juché au-dessus de la rivière : en bateau il faut se laisser couler jusqu’à Saint-Chély ; de bonne heure surtout, quand le soleil, peu élevé, projette en travers de la vallée les ombres allongées des créneaux du causse Méjean ou déverse ses flots de rayons par leurs larges embrasures ; quand la rosée diamante encore les pointes des feuilles ; quand les oiseaux folâtrent gaiement sur l’onde à peine plus fraîche que l’air matinal ; alors, c’est admirable de grandeur et de calme ! Sans mouvement, le Tarn vous pousse, tandis que ciel, arbres et rochers se déplacent automatiquement.

La nature marche autour de l’homme immobile. Est-ce donc le pays des fées, des Mille et une nuits ? Non ; c’est la Lozère.

À une demi-heure de Sainte-Enimie, sous la falaise de Conroc (r. dr.), la rivière a 10 mètres de profondeur. Une demi-heure plus loin, dans une oasis de verdure, sous un auvent de falaises, au bord de deux limpides sources, Saint-Chély-du-Tarn (r. g., 530 hab. la comm., 167 aggl.) se blottit bien à l’ombre des grands ormes de Sully, ses maisons au frais, sa rive au grand soleil du Tarn. La grève (r. g.) où l’on débarque est à l’entrée d’un portique de rochers, large de 30 mètres, haut de 60 : c’est le premier étroit du Tarn. Les deux sources y bondissent d’un saut en imposantes cascades hautes de 10 mètres. C’est charmant et très beau.

Quelque étrange que cela paraisse, Saint-Chély veut dire « Saint-Hère ». Dans les anciens actes romans, il s’orthographiait ainsi : Santch lier. Le ct dans le roman devient souvent ch, prononcé tch dans ces contrées. L’inversion des voyelles est fréquente en patois : on fit Santch-Élir. En voulant le franciser, on a coupé l’ensemble comme l’on prononçait, san-tchelir, et de là Saint-Chély.

Ici le Tarn coule à 465 mètres au-dessus du niveau de la mer, et le causse Méjean s’élève à 1,072 mètres. Un cap du causse de Sauveterre est, sur la rive droite, peut-être le plus effilé de tout le cañon, et de l’amont, à quelques centaines de mètres de distance, l’on se demande vraiment si l’on va pouvoir passer et par quelle fente la rivière se glisse ?

Il faut faire halte à Saint-Chély pour voir non seulement la curieuse assiette du village et les magnifiques arbres qui l’ombragent, mais encore ses deux belles sources, captées par des moulins.