1,000 mètres, à la rencontre l’un de l’autre, ils ne feraient plus qu’un seul et même plateau. Au sud, le gouffre de la Jonte, presque aussi profond que celui du Tarn et plus étroit encore, le sépare du causse Noir, rarement éloigné de 1,000 à 1,200 mètres, pour l’oiseau, non pour l’homme, qui « dégringole » d’un demi-kilomètre par des sentiers on ne sait comment accrochés à la roche, puis, le torrent traversé, monte en soufflant à la hauteur dont il vient de descendre.
« Sur ces trois rivières le Méjean développe 160 kilomètres de fossé et 120 kilomètres de front de falaises. Long de presque 30 kilomètres, large de 10 ou 12 à 20, à des altitudes de 900 à 1,278 mètres, il a 32,000 hectares ; 2,100 habitants, pas plus, y vivent en trois petits villages, Hures, la Parade, Saint-Pierre-des-Tripiers ; et en misérables hameaux sans arbres pour rompre le vent de bise et sans autre onde que l’eau des « lavognes », c’est-à-dire des citernes où l’on recueille pieusement les gouttes qui tombent du ciel, car le causse Méjean est le plus cassé de tous, le plus criblé d’avens (abîmes) de sinistre profondeur.
« Ses avens s’ouvrent le plus souvent dans un repli du sol, dans un entonnoir de la roche ; on y arrive en suivant une coulière de vallon, une rigole, une gouttière sèche, reconnaissable à l’usure de la pierre, et qui mène jusqu’à la porte d’une grotte d’engouffrement ou jusqu’à un orifice à ras du sol. À ces trous accourt l’orage tombé sur la carapace du causse et peu retenu par l’herbe rare et sèche, où çà et là se lève, de loin confondu avec la roche, quelqu’un de ces dolmens que le caussenard appelle les tombeaux des géants.
« Parmi ces abîmes, celui de Hures est tellement creux qu’on n’entend pas tomber jusqu’au fond le caillou qu’on y jette ; celui des Oules est entre le Bedos et la Volpilière ; ceux des Avens ont nommé un hameau situé au nord-ouest de Hures, au nord-est de la Parade. Celui de la Picouse, entre le Mas-de-Bail et la crête de Florac, faisait peur aux caussenards eux-mêmes ; il avait ses légendes : un soir, au crépuscule, un jeune cavalier y précipita sa dame, belle et suppliante ; un berger y tomba, dont le fouet reparut à la source de Florac. Sa gueule était béante, près d’une des routes les plus suivies du causse, et les passants craignaient d’y rouler ou d’y être jetés ; il est voûté maintenant : d’autres ont été entourés d’un mur. » (O. Reclus.)
Ceci fut écrit alors que nul encore n’avait osé braver la profondeur de ces abîmes ni rechercher jusqu’où ils descendaient. Nos explorations méthodiquement suivies de l’intérieur des causses ont commencé à faire la lumière sur cette obscure question des avens. (V. chap. XXIII.)
Voici, en passant, l’histoire du berger de la Picouse : Un jour, son fouet, tombé dans le gouffre, fut retrouvé par sa mère dans la source du Pêcher, à Florac. « Mère, je t’enverrai un mouton par là sous terre, » promit alors le jeune homme. Mais la bête destinée à ce fatal transport se débattit si bien au bord du trou où on voulait la jeter, que l’infortuné berger roula seul dans l’abîme. Sa mère encore, dans la même fontaine, recueillit son cadavre au lieu de la brebis attendue ! Roman ou légende, ce fait fut longtemps ce que l’on connaissait de plus précis sur l’intérieur des avens.
Ouverts en pleins champs, ces puits naturels faisaient peur ; dans leurs gueules noires, pendant les nuits sans lunes et les brouillards épais, maint voyageur « s’était péri », disait-on : et les villageois contaient qu’ils avaient plusieurs centaines de mètres de profondeur ; aussi personne ne s’était-il risqué dans ces affreuses bouches de l’enfer.