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44.

CONTRE LIGURINUS.

Tout le monde te fuit ; à la table, aux concerts,
A peine tu parais, chacun bat en retraite ;
Tous les salons pour toi deviennent des déserts ;
Veux-tu savoir pourquoi ? tu sens trop le poète ;
On peut pardonner tout, excepté ce travers.
Veuve de ses petits, la tigresse effrénée,
Le serpent dévoré par les feux du soleil,
De l’affreux scorpion la queue empoisonnée,
D’horreur ne font pas naître un sentiment pareil.
Assis, debout, courant, à la ville, en voyage,
Aux bains chauds, aux bains froids, toujours tu me poursuis ;
Aux lieux les plus secrets vainement je te fuis,
Pour arriver à moi tu forces le passage.
On m’attend à dîner, tu barres le chemin.
A table si j’ai pris ma place,
Ton importunité m’en chasse ;
Et si, de guerre lasse, enfin,
Il arrive que je sommeille,
Ta voix en sursaut me réveille
Pour expirer sous ton livre assassin.
Veux-tu savoir quel est l’effet de ta manie ?
On rend justice à ta bonté,
Peut-être même à ton génie ;
Homme d’honneur, de probité,
Tu n’es pourtant qu’un fléau redouté,
Qui vivras exilé de toute compagnie,
Et qui mourras sans être regretté.