« par de fausses paroles ! » La rougeur me monte au front à ces souvenirs.
Dans mes bons jours, quand j’avais une toge à demi neuve et de quoi vivre pour un mois, j’étais le plus heureux des hommes ; car il fallait bien peu pour vivre à ce célèbre et redouté Martial. Je quittais Rome, où le temps va si vite : alors j’avais un peu de bonheur ; alors plus de clients à visiter le matin, plus d’avocats a entendre a midi, plus de vers à lire le soir ; j’étais mon maître. Au point du jour, j’adressais ma prière aux dieux domestiques, je me promenais dans mon petit champ, je lisais les vers de Virgile, ou bien j’invoquais Apollon pour mon propre compte ; après quoi je frottais mes membres d’une huile bienfaisante et je me livrais à quelque exercice du corps, le cœur gai, sans songer à l’argent. Le soir venu, pendant que ma petite lampe jetait sur mes livres une douce clarté, j’écrivais lentement sous l’inspiration des muses de la nuit. Là j’étais véritablement mon maître ; je redevenais un homme ; j’osais chanter la liberté romaine, mon vieil amour ; je célébrais tous les grands hommes de la république, le vieux Caton, le vieux Bruius, tous les héros de cette Rome qui n’était plus ; j’écrivais à Juvénal, le maître de la satire romaine, et je lui envoyais les pâles fleurs de mon jardin. Quelquefois aussi, tout à l’amour, je célébrais les belles et jeunes femmes qui avaient daigné sourire à ma poésie, fille de l’amour ; quelquefois encore, tout à l’amitié, je me reposais de mon métier de parasite, et, chose incroyable ! j’invitais mes amis a dîner : « Si vous êtes condamnés, leur disais-je, à dîner chez vous, venez plutôt jeûner avec votre ami Martial. Vous ne manquerez guère chez moi, vous les joyeux convives, ni de laitues communes de Cappadoce, ni de porreaux à l’odeur forte ; on vous servira le thon caché sous des œufs coupés par tranches, un chou vert bien tendre et cueilli le matin même, du boudin sur une saucisse blanche comme la neige, des fèves au lard. Pour le second service, vous aurez des raisins secs, des poires de Syrie, des châtaignes de Naples, et même des grives rôties a petit feu. Le vin sera bon à force d’en boire. On pourra aussi vous offrir des olives et des pois chauds. Modeste repas, mais heureux, car il n’y aura avec nous ni contrainte, ni esclaves, ni parasites, ni flatteurs. Vous n’aurez pas à supporter les insolences et les petits vers du maître de la maison ; de lascives Espagnoles ne viendront point, à la fin du repas, vous fatiguer de leurs danses obscènes. Venez, amis : ma belle Claudia vous précédera aux sons de la flûte de Condylus ; elle sera la reine du festin ! »