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XVI

C’étaient la mes plaisirs. Hélas ! dieux tout-puissants ! je n’aurais pas demandé d’autre vie, j’aurais été à bon marché un homme heureux et un poète indépendant. Selon moi, un patrimoine héréditaire, un champ qui nourrit son maître, une vie assurée, point de procès, peu de clients, un esprit tranquille, le repos, la santé, la prudence, des amis qui sont nos égaux, des repas sans faste, des nuits sans soucis, une couche à la fois chaste et agréable, un sommeil qui dure autant que la nuit, attendre la mort sans la désirer ni la craindre, voilà le bonheur.

Je raconterai plus tard la seconde partie de ma vie poétique, quand Domitien fut mort. — Maintenant, holà ! c’est assez. Holà ! mon livre, nous voici parvenus au bas de la page : déjà le lecteur s’impatiente et se lasse : le copiste lui-même en dit autant. — Holà ! arrêtons-nous ! holà, mon livre !

Avant de vous raconter cette partie de ma vie, je sais que j’ai à me justifier de trois années d’une paresse opiniâtre, et d’autant plus que maintenant je n’ai même pas le droit d’accuser les bruits, les tumultes et les frivoles occupations de Rome. Comment donc me justifier d’avoir été ainsi oisif dans cette complète solitude de la province où l’étude est la seule ressource de mon esprit, la seule consolation de mon cœur ? Hélas ! dans cette heureuse retraite je cherche en vain les oreilles délicates que je trouvais à Rome : il me semble que je parle à des barbares. En effet, s’il y a dans mes livres quelque peu de cette délicatesse ingénieuse qui distingue les grands poètes, je le dois à mes auditeurs. O Rome ! Rome ingrate, détestée, et que je regrette, où es–tu ? où est ton esprit si vif, ton jugement si fin, ton goût exercé ? où sont ces bibliothèques, ces théâtres, ces réunions d’heureux oisifs où l’on ne sent de l’étude que les plaisirs ? Vive la pauvreté servie ainsi par toutes ces intelligences d’élite ! vive le génie favorisé par de tels auditeurs ! Dans cette province reculée où je suis riche et considéré de tous, heureux près d’une belle femme que j’aime, possesseur d’une maison et de beaux jardins, entouré d’une bibliothèque de chefs-d’œuvre, je me prends a regretter parfois mes misères à Rome, ma solitude à Rome, mes folles amours à Rome, ma vie de parasite, de flatteur, de mendiant, mais à Rome. Hélas ! que j’ai pitié souvent de mon abondance présente ! que cette fortune me pèse, entouré comme je suis de cette servitude de province et de toutes les jalousies mesquines de mon municipe ! Non, loin de Rome point de génie ! Rome, déesse des nations et du monde, Rome que rien n’égale, dont rien n’approche, tu seras toujours mon amour ! Rome, où le pauvre ne peut ni penser ni dormir, tu seras toujours le