Page:Martial - Épigrammes, traduction Dubos, 1841.djvu/23

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XVII

regret du riche Martial ! Que de fois cependant, quand j’étais perdu dans ce tourbillon de plaisirs, de pensées et d’affaires, ai-je maudit ce grand bruit sans fin et sans cesse qui se faisait à mon esprit et à mes oreilles ! Comment faire de la poésie, m’écriais-je, avec les maîtres d’école le matin, les boulangers la nuit, les batteurs d’or tout le jour ? Ici un changeur fait sonner sur son comptoir les pièces marquées au coin de Néron ; là un batteur de chanvre brise à coups de fléau le lin que nous fournit l’Espagne ; plus loin, le prêtre de Bellone, ivre de fureur, se heurte contre le vil Juif instruit par son père à mendier. Qui voudrait compter à Rome les heures perdues pour le sommeil, pourrait compter combien de mains agitent les bassins de cuivre qui doivent détacher les astres du ciel. Et pourtant, Ô Rome bruyante, et cruelle, et sans pitié pour tes poètes, ton poète Martial, à qui tu refusais du pain et une toge, ne peut s’empêcher de te pleurer. Depuis trois ans qu’il a quitté sa misère poétique pour la fortune, il n’a pas osé invoquer une seule fois cette muse souriante et déguenillée qui ne lui faisait jamais faute dans sa maison sans toit et sans ombrage. Recevez donc ce nouveau livre de mes souvenirs comme il a été écrit et pensé, c’est-à-dire style et pensées de la province, livre romain, non pas seulement écrit en Espagne, mais, j’en ai peur, un livre espagnol. Pauvre malheureux écrivain que je suis ! les temps sont bien changés pour mon esprit ! autrefois j’envoyais mes livres de Rome chez les autres peuples, maintenant je les envoie des bords du Tage à Rome. Et cependant, va, mon livre ! Malgré la distance qui te sépare de la ville, tu ne passeras pas pour un nouveau venu ni pour un étranger dans la cité de Romulus, où tu comptes déjà tant de frères. Va, tu as le droit de cité romaine ; frappe hardiment au palais neuf, où leur temple vient d’être rendu au chœur sacré des Muses ; ou bien encore, gagne d’un pied léger le quartier de Suburra. Là s’élève le riche palais d’un consul, mon ami, l’éloquent Stella, qui couronne ses pénates du laurier poétique, qui plonge ses lèvres dans l’eau limpide de Castalie. Protégé par Stella, le peuple, les sénateurs et les chevaliers le liront sans peine. Puissent-ils, comme autrefois, dés les premières lignes s’écrier : Vivat ! voilà un livre de Martial !

Où en étais-je resté à la première partie de cette auto-biographie qu’on pourrait appeler (mais tant de hardiesse n’est pas faite pour nous) les Commentaires de Martial ? A coup sûr, et en quelque endroit que j’en sois resté, je suis resté à quelque humiliation et a quelques misères