Page:Martial - Épigrammes, traduction Dubos, 1841.djvu/26

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tion sans fin, misère sans remède, isolement sans espérance ? Je n’en finirais pas si je voulais dire ceux et celles qui m’ont aimé ; et d’ailleurs, parmi ces dernières, tendres cœurs qui ont eu pitié de moi, il en est que je ne puis nommer. Les dieux me préservent de l’exil d’Ovide ! Mais ceux que j’ai aimés, je sais leur nom, et je les ai mis dans mes vers, afin que dans mes vers il y eût place pour l’amitié aussi bien que pour la gloire. J’ai eu pour ami Vinalius, mon esclave, et, comme il était près de mourir, je l’ai affranchi, lui donnant ainsi la liberté, le plus grand don que je pouvais lui faire. J’ai été l’ami de Faustinus, et je n’ai envié ni sa maison de Baies, située dans cette vallée profonde où mugissent les taureaux indomptés, ni son jardin d’une facile culture, ni ses vieux arbres, abri impénétrable contre le soleil. J’ai préféré Posthumus aux Pison, descendants des amis d’Horace : il était pauvre alors, et je partageais avec lui ce pauvre rien du pauvre Codrus dont il est parlé dans les satires de Juvénal. Depuis ce temps, Posthumus a fait sa fortune ; aussitôt il oublia notre amitié, dont je me souvenais toujours. Je lui écrivis alors : « Posthumus, tu étais pauvre et simple « chevalier, mais pour moi tu valais un consul. Avec toi j’ai passé « trente hivers ; nous n’avions qu’un lit, nous le partagions ensemble. « A présent, au faîte des honneurs, riche, heureux, tu es riche, honoré, « heureux tout seul. Quand tu seras redevenu pauvre, tu me retrouveras ton ami ! » J’ai été l’ami de Colinus, l’aimable esprit, qui méritait d’atteindre au chêne du Capitole ; j’ai été l’ami de Lucius, mon compatriote des bords du Tage, et je lui disais : « Ami Lucius, mon « frère Lucius, laissons aux poètes grecs le soin de chanter Thèbes ou « Mycène : nous, enfants de l’Ibérie, ne reculons pas devant les noms « quelque peu durs de notre terre natale ! Parlons de Bilbilis remplie « de fer ; de Platea, fournaise ardente ; du Xalon, où se trempent les « armes des guerriers ; de Tudela et Rixamare, qu’embellissent la musique « et les danses ; de Cuarditi la gourmande et la dansante ; de « Pelvère, touffu bosquet de roses ; de Rigas, où nos aïeux avaient un « théâtre dont nous n’avons que les ruines ; de Silas, du lac de Turgente, « de Petusia, et des ondes pures de Véronina, et du bocage sacré « où croissent les yeuses ; du Baradon, que le voyageur le plus « paresseux traverse à pied comme une promenade ; et enfin de la « plaine recourbée de Mulinena, que Manlius féconde avec ses taureaux « vigoureux. » Avouez que c’était là un ingénieux tour de force, faire entrer ces noms barbares dans l’oreille attique des Romains !