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cœur agonisant

CŒUR AGONISANT

Il n’y a pas si loin que l’on croit communément des corps aux âmes incurables. Souvent en effet les infirmités physiques montrent l’abandon des cœurs et des esprits. Une collaboratrice, des meilleures sinon la meilleure, de Mme Garnier, une veuve elle aussi, et mère de dix enfants. Mme Trapadoux, avait eu longtemps devant les yeux l’horrible spectacle des douleurs éprouvées par les infirmes de l’œuvre du Calvaire ; elle s’était jetée dans cette œuvre de tout son zèle intelligent et compatissant. Peu à peu elle se prit à songer à cet autre calvaire du Christ qu’on peut appeler la mauvaise mort. Il meurt, se dit-elle, dans le monde entier environ cent mille personnes par jour ; chaque mois, trois millions ; chaque année, trente-six millions, c’est-à-dire la moyenne d’habitants du plus florissant pays. Et comment tout ce monde meurt-il ? Quelle suite toutes ces morts soudaines, mal préparées, parfois mauvaises, font-elles à l’agonie du Sauveur, qui, sans doute, voyait son sacrifice inutile à des légions de pécheurs, lorsqu’il murmura au jardin des Oliviers : « Mon Père, s’il vous plaît, que ce calice s’éloigne. »

Telle fut l’idée, simple, positive dans le domaine de la mysticité, qui inspira à cette sainte femme son sacrifice, voulu et courageux. Jeanne-Marie-Louise-Zoé Baudot naquit à Lyon, le 8 septembre 1803, d’une famille solidement chrétienne et riche de biens par un honnête commerce. La révolution régnait encore sur tous les dehors de la ville : l’enfant fut baptisé, faute d’église, dans la maison paternelle. Elle avait trois ans quand Pie VII, de passage dans notre ville, bénit « la seconde Rome » du haut de la colline de Fourvière ; elle fut offerte par son père aux mains étendues du débonnaire pontife qui la caressa ; puis sa mère, femme d’une vigoureuse piété, la mit sous la discipline d’une forte gouvernante destinée aux immolations de la Trappe, Mme Paraillon, qui lui donna, de bonne heure, le goût du sacrifice. La méthode de cette sage et d’ailleurs aimable institutrice était simple et efficace : elle prêchait d’exemple.

Zoé ainsi formée aux vertus de tous états n’avait pas dix-sept ans quand elle épousa M. Trapadoux, aussi distingué par son intelligence du négoce que par sa foi religieuse. En quatre ans, quatre enfants étaient nés de cette union, dont un qui ne survécut pas. Cependant M. Trapadoux avait accepté aux États-Unis ce que l’on appelle une belle position : elle l’accompagna dans cet exil, mais ne pouvant s’accommoder au climat, elle revint à Lyon. À vingt-sept ans, le ciel lui donnait son huitième enfant. Elle confia ses fils aux pères Jésuites dans leur collège du Passage en Biscaye espagnole, fit à Rome un voyage heureux, où elle reçut la bénédiction de Grégoire XVI et y rencontra sa grande amie Mme Jaricot, fondatrice de l’œuvre de la Propagation de la foi.

Le 8 décembre 1845, M. Trapadoux, qui avait connu des alternatives de prospérité et de médiocrité, mourait, lui laissant le soin de dix enfants, dont sept mineurs, et d’un