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Page:Martin - Poètes contemporains en Allemagne.djvu/262

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s’arrêtent silencieux et se prennent à réfléchir. Alors seulement ils commencent à peser avec calme les moindres paroles de leur imprudent compagnon.

Cinquante ans ! murmure l’un d’eux, cinquante ans ! c’est un long intervalle !

Puis un autre :

Et dire que c’est justement son cercueil qui est si simple et si dépourvu d’ornements !

Puis un troisième :

Ne sommes-nous pas esclaves ? ne sommes-nous pas toujours les esclaves corvéables de nos prêtres et de nos comtes ?

Ton garçon n’est-il pas encore toujours étendu honteusement sous les verges de la caserne ? Ta fille n’est-elle pas ignominieusement destinée aux plaisirs des nobles seigneurs futurs ?

Peux-tu prier selon ton choix ou ta volonté ? Mangeons-nous autre chose que du pain noir ? Ne sommes-nous pas orphelins et foulés aux pieds ? Ah ! l’empereur Joseph est mort ! il est mort !

Il est mort !

Ils poussent tous ce cri avec des gémissements et se découvrent la tête pour prier. Cinquante années ont dû s’écouler ; la misère et les douleurs ont dû venir pour qu’ils le crussent.


Quelle admirable composition ! quelle simplicité de mise en scène ! quel art de peindre et de graduer l’intérêt ! On voit ces paysans naïfs et crédules, comme si quelque énergique pinceau en avait jeté devant nous, sur la toile, les rudes et farouches visages. On sent monter le flot bouillonnant de la colère, et l’on s’y laisse presque entraîner ; puis, quand toute cette colère lentement amassée éclate, et qu’un silence solennel, le silence de la réflexion succède enfin, on respire plus à