Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/109

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cœur parlait, ou plutôt écrivait à mon propre cœur, avec ivresse ! Puis, tout à coup. Dieu a voulu que cet idéal se fasse chair, et il s’est incarné en toi, ô mon Amour ! Comment est-ce que ça a commencé ? On ne sait plus : de chaînon en chaînon, on se perd en dédale d’idées sans retrouver l’origine. Mais peut-on rien rêver d’aussi voluptueux et sublime que cet amour ? Je cherche en vain des comparaisons. À côté de notre grand secret, tout pâlit ! C’est un soleil qui échauffe et illumine nos deux existences ! Mais tout cela ne se peut écrire ! Écrit, cela ressemble à la photographie d’une fleur !

« Mais assez !

« Tu aurais peut-être besoin de secours, de consolation, d’espoir, et je t’envoie, non des mots de tendresses, mais ces lamentations d’un cœur égoïste, qui ne vit que pour lui-même. Pardonne, ô mon amour ! Je ne peux t’écrire autrement. Je traverse une crise et mon cœur est plus desséché que le lit rocailleux d’un ravin ! Incertitude de tout et de moi-même, n’es-tu pas le mal le plus cruel ?

« Dédaigne-moi ! Ne m’écris plus ! Aimes-en un autre ! Je ne suis plus digne du don de toi-même !