Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/116

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quelquefois se mouillant de larmes, mais le plus souvent sec, ardent, et comme incapable de s’attendrir jamais.

Daniel fut sur le point de répliquer ; mais il se tut. Son visage conciliant s’offrait sans défense à l’irritation de Jacques ; et il se mit à sourire, comme pour s’excuser. Il avait une façon particulière de sourire : sa bouche, petite, aux lèvres ourlées, se relevait subitement vers la gauche, en découvrant les dents ; et, sur ses traits graves, cette gaîté mettait une irrégularité charmante.

Pourquoi ce grand garçon réfléchi ne s’insurgeait-il pas contre l’ascendant de ce gamin ? Son éducation, la liberté dont il jouissait, ne lui donnaient-elles pas sur Jacques un incontestable droit d’aînesse ? Sans compter qu’au lycée où ils se rencontraient, Daniel était un bon élève, et Jacques un cancre. L’esprit clair de Daniel était en avance sur l’effort qu’on exigeait de lui. Jacques, au contraire, travaillait mal, ou plutôt ne travaillait pas. Faute d’intelligence ? Non. Mais, par malheur, son intelligence poussait dans un tout autre sens que celui des études. Un démon intérieur lui