Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/123

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visage pâle, semé de taches jaunes, était ferme, sans forfanterie.

— « Je te jure, je suis bien décidé à ne pas retomber entre leurs pattes ! J’aurai fait mes preuves avant. S’enfuir, où ça… », fit-il, en montrant sous son gilet le manche du poinçon corse qu’il avait couru prendre, le dimanche matin, dans la chambre de son frère. « Ou plutôt ça… », continua-t-il, en tirant de sa poche un petit flacon ficelé dans du papier. « Si jamais tu refusais maintenant de t’embarquer avec moi, ça ne serait pas long : hop !… » Il fit le geste d’avaler le contenu du flacon. « … et je tombe foudroyé. »

— « Qu’est-ce que c’est ? » balbutia Daniel.

— « Teinture d’iode », articula Jacques, sans baisser les yeux.

Daniel supplia :

— « Donne-moi ça, Thibault… » Malgré sa terreur, il se sentait soulevé de tendresse, d’admiration ; il subissait l’extraordinaire fascination de Jacques ; et puis, voici que l’aventure le tentait de nouveau. Mais Jacques avait déjà enfoui le flacon au fond de sa poche.