Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/154

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bault, qui a le bras long à l’Archevêché, tu comprends ? Papa est bon, tu sais », affirma-t-il avec une animation soudaine, « très bon même, je t’assure. Mais je ne sais comment dire… Toujours ses œuvres, ses commissions, ses discours ; toujours la religion. Et Mademoiselle aussi : tout ce qui m’arrive de mal, c’est le bon Dieu qui me punit. Tu comprends ? Après le dîner, papa s’enferme dans son bureau, et Mademoiselle me fait réciter mes leçons, que je ne sais jamais, dans la chambre de Gise, pendant qu’elle couche la petite. Elle ne veut même pas que je reste dans ma chambre, seul ! Ils ont dévissé mon commutateur, crois-tu ? pour que je ne puisse pas toucher à l’électricité ! »

— « Mais ton frère ? » questionna Daniel. — « Antoine, oui, c’est un chic type, mais il n’est jamais là, tu comprends ? Et puis, — il ne me l’a jamais dit, — mais je suppose que lui non plus, il n’y tient pas tant que ça, à la maison… Il était déjà grand quand maman est morte, puisqu’il a juste neuf ans de plus que moi ; alors Mademoiselle n’a jamais pu avoir beaucoup de crampon sur lui. Tandis que moi, elle m’a élevé, tu comprends ? »