Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/166

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lui tendait. Mais elle eut l’air si déçue !

— « Quoi donc, mon petit ? Tu ne vas pas me priver d’une bonne tasse de thé, ce soir, avec toi ? »

Daniel la regarda. Qu’avait-elle donc de changé ? Pourtant elle buvait, comme toujours, son thé brûlant, à petites gorgées, et ce visage à contre-jour, souriant dans la buée du thé, était bien, un peu plus fatigué sans doute, le visage de toujours ! Ah, ce sourire, ce long regard… Il ne put supporter tant de douceur : il baissa la tête, saisit une rôtie, et, par contenance, fit mine d’y mordre. Elle sourit davantage ; elle était heureuse et ne disait rien ; elle dépensait le trop-plein de sa tendresse à flatter le front de la chienne, blottie au creux de sa robe.

Il reposa le pain. Les yeux toujours à terre, il dit, en pâlissant :

— « Et au lycée, qu’est-ce qu’ils t’ont raconté ? »

— « Je leur ai dit que ce n’était pas vrai ! »

Le front de Daniel se détendit enfin ; levant les yeux, il rencontra le regard de sa mère : regard confiant, certes, mais qui interrogeait malgré tout, qui souhaitait d’être