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Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/174

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Sa façon de rire était assez factice : il rejetait la tête en arrière, ce qui coulait les prunelles dans le coin des yeux, et il égrenait l’un après l’autre trois « ah », un peu forcés : « Ah ! ah ! ah ! »

Il avait traîné un tabouret près de la table et s’emparait déjà de la théière.

— « Ne buvez pas ce thé qui est tiède », dit Mme de Fontanin, en rallumant le samovar. Et comme il protestait : « Laissez-moi faire », dit-elle sans sourire.

Ils étaient seuls. Pour surveiller la bouilloire, elle s’était approchée, et respirait cette senteur acidulée de lavande, de verveine, qui montait de lui. Il leva la tête vers elle, souriant à demi, et son expression était tendre, repentante : il tenait sa tartine à la main, comme un écolier, et, du bras libre, il entoura la taille de sa femme, avec un sans-gêne qui confessait une longue expérience amoureuse. Mme de Fontanin se dégagea brusquement ; elle avait peur de sa faiblesse. Dès qu’il eut retiré son bras, elle revint achever le thé, puis s’éloigna de nouveau.

Elle restait digne et triste ; devant une telle inconscience, le plus âpre de sa rancune