Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/176

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glissait d’un bout à l’autre de la phalange. Elle épiait tout ses gestes.

— « Vous permettez que j’allume une cigarette, Amie ? »

Il était incorrigible et délicieux. Il avait une manière à lui de prononcer ce mot Amie, en laissant l’e final mourir au bord des lèvres, comme un baiser. L’étui d’argent brilla entre ses doigts ; elle reconnut son claquement sec, et ce tic qu’il avait de tapoter la cigarette sur le dos de sa main avant de la glisser sous la moustache. Et comme elle connaissait aussi les longues mains veinées, dont l’allumette fit soudain deux coquillages transparents, couleur de flamme !

Elle s’efforça de ranger la table à thé, calmement. Cette semaine l’avait brisée, et elle s’en apercevait à l’instant même où elle avait besoin de tout son courage. Elle s’assit. Elle ne savait plus que penser, elle entendait mal l’injonction de l’Esprit. Dieu ne l’avait-il pas placée auprès de ce pécheur, qui jusque dans ses dérèglements demeurait accessible à la bonté, pour qu’elle pût l’assister quelque jour dans son acheminement vers le Bien ? Non : le devoir immédiat était de préserver le foyer, les enfants. Sa pensée