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Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/196

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le lit où, l’un après l’autre, son père, puis sa mère sont morts ; et, suspendu devant le prie-dieu dont Mme Thibault a brodé la tapisserie, le christ qu’il a lui-même, à quelques mois de distance, placé entre leurs mains jointes.

Là, seul, redevenu lui, le gros homme arrondit les épaules ; un masque de fatigue paraît glisser de son visage, et ses traits prennent une expression simple, qui le fait ressembler à ses portraits d’enfant. Il s’approche du prie-dieu et s’agenouille avec abandon. Ses mains bouffies se croisent d’une façon rapide, coutumière : tous ses gestes ont ici quelque chose d’aisé, de secret, de solitaire. Il lève sa face inerte ; son regard, filtrant sous les cils, s’en va droit vers le crucifix. Il offre à Dieu sa déception, cette épreuve nouvelle ; et, du fond de son cœur délesté de tout ressentiment, il prie, comme un père, pour le petit égaré. Sous l’accotoir, parmi les livres pieux, il prend son chapelet, celui de sa première communion, dont les grains après quarante années de polissage coulent d’eux-mêmes entre ses doigts. Il a refermé les yeux, mais il garde le front tendu vers le Christ. Personne jamais ne