Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/120

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est qu’il subissait en ceci l’influence de M. Thibault, dont la vanité était fort sensible aux succès d’Antoine, et qui se plaisait à faire l’éloge de son fils.

Antoine ne chercha pas à convaincre l’abbé par une adroite argumentation ; il lui fit le récit détaillé de la journée qu’il avait passée à Crouy et qui s’était terminée par la scène avec son père : ce dont l’abbé lui fit reproche, sans mot dire, par un geste significatif des mains, qu’il tenait presque toujours levées à la hauteur de la poitrine ; deux mains de prélat, que les poignets arrondis laissaient retomber mollement, et qui, sans changer de place, s’animaient soudain, comme si la nature leur eût réservé cette faculté d’expression qu’elle avait refusé au visage.

— « Le sort de Jacques est maintenant entre vos mains, M. l’abbé », conclut Antoine. « Vous seul pouvez faire entendre raison à mon père. »

L’abbé ne répondit pas. Il tourna vers Antoine un regard si morne, si distrait, que le jeune homme ne sut que penser. Il sentit alors son impuissance, et les insurmontables difficultés de ce qu’il avait entrepris.