Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/173

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l’antichambre, près de ses malles non ouvertes. Le calorifère de l’immeuble donnait une douce chaleur, les ampoules neuves jetaient sur tout leur lumière crue. Antoine avait devant lui une longue soirée pour prendre possession ; il fallait qu’en quelques heures tout fut déballé, rangé et prêt à encadrer dorénavant sa vie. Là-haut, le repas s’achevait sans doute : Gise s’endormait sur son assiette ; M. Thibault pérorait. Comme Antoine se sentait tranquille, comme sa solitude lui paraissait savoureuse ! La glace de la cheminée le reflétait à mi-corps. Il s’en approcha non sans complaisance. Il avait une manière à lui de se regarder dans les glaces, en carrant les épaules, en serrant les mâchoires, et toujours de face, avec un regard dur qu’il plongeait dans ses yeux. Il voulait ignorer son buste trop long, ses jambes courtes, ses bras grêles, et sur ce corps presque gringalet, la disproportion d’une tête trop forte, dont la barbe augmentait encore le volume. Il se voulait, il se sentait un vigoureux gaillard, à large encolure. Et il aimait l’expression contractée de son visage : car, à force de plisser le front comme s’il eût besoin de concentrer toute