Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/208

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sur les pelouses, éblouie de soleil, ivre de jeunesse. Jacques ne comprenait pas tous les mots ; elle traduisait à mesure, et, pour exprimer cet élan vers la liberté, elle trouva des accents si naïfs, que Jacques, songeant à Crouy, sentit son cœur s’amollir. Par bribes, après bien des réticences, il se mit à conter ses malheurs. Il vivait encore si seul et parlait si rarement que le son de sa voix le grisait vite. Il s’anima, dénatura la vérité à plaisir, glissa dans son récit toutes sortes de réminiscences littéraires ; car, depuis deux mois, le plus clair de son travail consistait à dévorer les romans de la bibliothèque d’Antoine. Il sentait bien que ces transpositions romantiques avaient sur la sensibilité de Lisbeth plus d’action que n’aurait eue la pauvre réalité. Et lorsqu’il vit la jolie fille essuyer ses yeux, dans l’attitude de Mignon pleurant sa patrie, il goûta une volupté d’artiste, qui lui était encore inconnue, et il en ressentit tant de reconnaissance qu’il se demanda, tremblant d’espoir, si ce n’était pas de l’amour.


Le lendemain de ce jour-là, il l’attendit avec impatience. Elle s’en doutait peut-