Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/220

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« Monsieur Jacques,

« Quand vous aurez cette chère lettre je serai déjà loin… »

Les lignes se brouillaient ; son front se couvrit de sueur.

« … je serai déjà loin car je monte ce soir dans le chemin de fer de 22 h. 12 à la gare de l’Est pour Strasbourg… »

— « Antoine ! »

Appel si déchirant qu’Antoine accourut, croyant son frère blessé.

Jacques était assis sur son lit, les bras écartés, les lèvres entr’ouvertes, les yeux suppliants : on eût dit qu’il se mourait et qu’Antoine seul pouvait le sauver. La lettre traînait sur les draps. Antoine la parcourut, sans étonnement : il venait de conduire Lisbeth au train. Il se pencha sur son frère ; mais l’autre l’arrêta :

— « Tais-toi, tais-toi… Tu ne peux pas savoir, Antoine, tu ne peux pas comprendre… »

Il employait les mêmes mots que Lisbeth. Son visage avait pris une expression butée, et son regard une fixité, une pesanteur, qui rappelaient l’enfant de jadis. Soudain sa poitrine se gonfla, ses lèvres se mirent à trembler, et, comme s’il cherchait à se