Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/224

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Pendant le dîner, il causa avec M. Thibault sans s’adresser à Jacques. Ils redescendirent ensemble, comme chaque soir, mais n’échangèrent pas une parole. Antoine gagna sa chambre ; il s’asseyait à peine à sa table, lorsque Jacques entra sans avoir frappé, s’avança d’un air provoquant et jeta sur le bureau la lettre dépliée :

— « Puisque tu surveilles ma correspondance ! »

Antoine replia la feuille sans la lire, et la tendit à son frère. Comme celui-ci ne la prenait pas, il écarta les doigts et la lettre tomba sur le tapis. Jacques la ramassa et l’enfonça dans sa poche.

— « Alors, ce n’est pas la peine de me faire la tête », ricana-t-il.

Antoine haussa les épaules.

— « Et puis, j’en ai assez, si tu veux savoir ! » reprit Jacques, élevant tout à coup la voix. « Je ne suis plus un enfant. Je veux… j’ai bien le droit… » Le regard attentif et calme d’Antoine l’irritait. « Je te dis que j’en ai assez ! » cria-t-il.

— « Assez de quoi ? »

— « De tout. » Sa figure avait perdu toute nuance : l’œil fixe et courroucé, les